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Texte zur Baudelaire-Rezeption
Texte zur Verlaine-Rezeption
Texte zur Mallarmé-Rezeption
Texte zur Theorie und Rezeption des Symbolismus
[138] Voulez-vous me permettre, mon ami, de vous parler un peu des poëtes nouveaux, de ceux dont la réputation commence à présent et ne pourra que grandir désormais? Les académiciens auxquels un candidat vient rendre une visite solennelle ne manquent jamais de lui redire ce cliché célèbre: "Monsieur, depuis longtemps je ne lis plus: je ne fais que relire aussi vos ouvrages me sont-ils inconnus!" A la bonne heure, au palais Mazarin, où le temps a si peu marché, qu'on y a encore le droit de prendre pour des lions les bizarres animaux en fonte peinte de couleur verte qui ornent le péristyle! Mais comme vous n'êtes pas académicien, Dieu merci, et comme je ne le suis pas non plus, pourquoi resterions-nous étrangers aux transformations et aux conquêtes nouvelles d'un art qui a été le meilleur amour et le plus cher souci de toute notre existence? N'est-ce pas un bonheur pour nous de savoir qu'on fait encore de bons et beaux vers, et qu'on en fera toujours, comme cela est vrai en effet? Car il n'y a pas de progrès qui tienne, les lys et les roses continuent de fleurir et les rimes de rimer, tout comme si le télégraphe Caselli n'avait pas attaché à nos pattes de mouche des ailes plus rapides que celles de la foudre.
Vous connaissez le Parnasse Contemporain, publié par le nouvel éditeur des poëtes, Alphonse Lemerre. Vous le connaissez puisque vous avez donné quelques-uns de vos poëmes à ce recueil fait un peu à la diable, mais qui a eu le grand et incontestable avantage de nous révéler des noms et des talents nouveaux: entre autres ceux de MM. Fran[139]çois Coppée, Paul Verlaine, Léon Valade, Stéphane Mallarmé, Henri Cazalis, Albert Mérat, en même temps qu'il achevait de mettre en lumière de jeunes poëtes déjà connus du public, tels que MM. Catulle Mendès, Léon Dierx, Sully Prudhomme et Jose Maria de Heredia. Je ne prétends pas, mon ami, étudier ici les œuvres contenues dans cet important volume collectif, car il faudrait pour cela plus de temps que je n'en ai, et plus de place que je n'en veux prendre à vos lecteurs; je désire seulement vous dire quelle a été mon impression générale à propos de quelques ouvrages en vers, récemment publiés.
Tout d'abord je remarque, dans l'état actuel de la poésie, un double et très-remarquable progrès: progrès par la versification, et progrès par la sincérité des impressions.
Comme tous ceux qui l'ont précédé, le progrès récent de la versification procède, est-il utile de le dire? de Victor Hugo. Je n'ai pas à vous rappeler, mon ami, que pareille à toutes les révolutions, la Révolution de 1830 n'a pas toujours été fidèle à ses programmes. Au théâtre, elle avait annoncé la liberté shakspearienne, et elle n'est pas allée plus loin que la tragédie-drame de Schiller. En poésie lyrique, elle devait renouveler, affranchir complétement l'alexandrin, qui dans le fait resta esclave, emprisonné dans les langes classiques, car les audaces inaugurées par Racine, dans les Plaideurs, deux siècles auparavant ne purent pas même être adoptées en principe et acquérir force de loi. A vrai dire, la rénovation, la refonte complète de l'alexandrin ne date que de la Légende des Siècles. Dans ce livre puissant et vraiment romantique, le vers libre, souple, hardi, définitivement débarrassé de ses entraves, vole, marche, bondit, parle sans contorsions, simplement, nettement, disant ce qu'il veut dire, et chante aussi et plane avec un grand vol sublime, d'une aile plus forte que l'ouragan et la nuée.
La langue poétique moderne était trouvée enfin! et un dilemme terrible se trouvait posé par la force des choses. Ou les jeunes gens allaient adopter et s'assimiler la nouvelle forme créée par Hugo (et grâce au ciel, c'est ce qui est arrivé), ou nous retombions platement au vers pseudo-classique, vide, contourné et flasque, par lequel on a cru continuer Racine! et à toutes les horreurs de la poésie du premier empire. Car l'alexandrin de 1830 ne pouvait plus durer, et de lui-même périssait, comme n'étant pas une expression suffisamment romantique de notre époque où tout est compliqué et multiforme. Que par un miracle de génie, que par un merveilleux effort d'intuition, Hugo ait deviné, senti cette situation menaçante et qu'il ait pu créer de toutes pièces, lui vieux déjà et blanchi dans les travaux, la langue poétique [140] nouvelle, c'est ce que je ne me lasse pas d'admirer; mais j'admire aussi et très-fort, que toute une génération nouvelle, séparée de lui par quarante années et nourrie d'une littérature détestable, l'ait compris au premier mot, et tout de suite, par un accord tacite et unanime, se soit faite sa complice ardente et dévouée pour le plus noble dessein qui fut jamais: celui de trouver à la poésie française son expression moderne.
Œuvre immense, qui silencieusement s'est accomplie, grâce à cette circonstance si heureuse que la Presse, dédaignant la Poésie, ne s'en occupa nullement, ne la contraria pas, la laissa suivre tranquillement son chemin. Ce langage, mon ami, vous étonnera peut-être dans la bouche d'un homme qui, comme moi, a pendant toute sa vie écrit dans les journaux: toutefois, je n'en rabattrai pas une syllabe. Si la Poésie lyrique avait, comme la Comédie moderne, soixante journaux pour lui crier: casse cou! elle serait tombée où est tombée la Comédie, c'est-à-dire dans l'incertitude la plus absolue et, comme elle, ne saurait où aller. Nous avons Saint-Victor et tous les lundis je m'en félicite, mais c'est à la condition de ne plus avoir Shakespeare. Voyez-vous d'ici les feuilletons, le lundi qui suivrait la première représentation de Comme il vous plaira ou du Songe d'une Nuit d'Été?
Je reviens à mon dire: grâce à l'indifférence de la Presse, la plus complète révolution put sans encombre être opérée dans l'alexandrin, transformé par la Légende des Siècles. Les nouveaux venus ne se firent pas à une imitation, un décalque, une copie servile du vers de Hugo; ce qui eut tout perdu; mais ce vers si indépendant et si malléable, chacun se l'assimila, le transforma à sa guise, le fit sien, se bornant à en adopter le principe, qui consiste à briser entièrement les vieux moules, et à n'imposer au vers rigoureusement assujetti aux lois de la grammaire, du Rythme et de la Rime, aucune entrave de convention. Ce miracle fut accompli, et par qui? par des enfants, uniquement parceque personne ne les a empêchés de l'accomplir, et un art nouveau surgit, sans qu'on s'en fût aperçu, en plein Paris, c'est-à-dire dans une ville qu'une affiche excentrique ou un chapeau excessif suffisent à occuper pendant trois mois! Et, comme on a dit justement, qu'un Gavroche de nos jours possède, par ce fait seul qu'il existe, une somme d'idées supérieure à celle que possédait Platon, il est de même très-juste de dire qu'aujourd'hui n'importe quel poëte à ses débuts en sait plus sur la versification, que nos maîtres n'en savaient il y vingt ans. C'est là une vérité très-difficile à croire, d'abord parcequ'elle est neuve, ensuite et surtout parcequ'elle est vraie: mais si je tenais à ce qu'on me [141] crût, n'aurais-je pas à mon service l'inépuisable arsenal des lieux communs?
Je vous disais qu'il y a eu progrès, non-seulement par la versification, mais aussi par la sincérité des impressions, et je veux expliquer ce second point en quelques mots. Lorsque le Réalisme fit son apparition, je fus, comme vous vous le rappelez, un des adversaires les plus convaincus de ce nouveau dieu bizarre et horrible, car j'avais cru naïvement, c'est-à-dire comme il le croyait lui-même, qu'il réaliserait religieusement ce qu'il s'était promis. Il ne s'agissait de rien moins que d'imposer à la nature une laideur uniforme, de changer Apollon en bossu et Vénus en margot, et d'élever la verrue à la hauteur d'une institution. Mais comme tous les conquérants, le Réalisme ne fit pas du tout ce qu'il avait annoncé, et en revanche fit autre chose: c'est la règle commune, puisque la Destinée suit du doigt sur son livre ce qui est écrit, et se moque de nos scénarios.
Le Réalisme ne put nullement imposer à l'universalité du genre humain l'amour de la difformité, de la tache d'huile, de la verrue et de la taie sur l'œil, mais il tua nettement et pour jamais le chic, le poncif, le lieu commun, en poésie aussi bien qu'en peinture. Le bon sens public n'adopta pas les vaches à vingt-cinq sous des Demoiselles de Village; mais par contre, il devint impossible d'adorer, comme en 1830, des marquises chimériques, moderne incarnation des Eglés et des Iris en l'air, de se déguiser en Raphaël ou en Van-Dyck et d'aller écrire à la bibliothèque de la rue Richelieu des Impressions de Voyages imaginaires. Tout ce que les jeunes poëtes de la génération actuelle écrivent dans un vers souple et vivant a été d'abord vu, réellement vu, étudié sur le vif ou au moins rêvé et imaginé sincèrement; le Réalisme qui a voulu leur donner l'amour du laid ne leur a inspiré que l'horreur du faux et du factice. Aussi est-ce le cas de répéter à propos de ce dénouement inattendu le refrain de Shakspeare: Tout est bien qui finit bien!
Rien ne serait plus curieux et plus fructueux en ce moment que d'étudier chez les poëtes actuels la double transformation dont je vous parle; mais pour prêter à ces questions vraiment vitales toute l'attention nécessaire, Paris n'est-il pas trop occupé à ne pas lire la Revue des Deux-Mondes et à lire le récit des innombrables transformations de Rocambole. Parmi les plus jeunes de nos poëtes, ceux qui semblent tenir la corde sont MM. François Coppée et Jose Maria de Heredia. Ecoutez un sonnet de chacun d'eux et dites-moi si l'art a jamais eu, même dans le grand xvie siècle, une plus belle et plus fière allure. [142] Celui de M. François Coppée, ciselé avec la plus grande grâce florentine, s'intitule orgueilleusement:
LE LYS
Hors du coffret de laque aux clous d'argent, parmi
Les fleurs du tapis jaune aux nuances calmes,
Le lourd collier massif qu'agrafent deux camées
Ruisselle et se répand sur la table à demi.
Un oblique rayon l'atteint. L'or a frémi.
L'étincelle s'attache aux perles parsemées,
Et midi darde moins de flèches enflammées
Sur le dos somptueux d'un reptile endormi.
Cette splendeur rayonne et fait pâlir des bagues
Éparses où l'onyx a mis ses reflets vagues,
Et le froid diamant sa claire goutte d'eau.
Et, comme dédaigneux du contraste et du groupe,
Plus loin, et sous la pourpre ombreuse du rideau,
Noble et pur, un grand lys se meurt dans une coupe.
Quant au sonnet de M. Heredia, il vous dira comme nous sommes loin des fadeurs de Demoustiers et de la mythologie de pendule! Celui-ci, qui d'un ciseau hardi sculpte la figure géante d'une divinité, s'appelle:
LA CHASSE
Le quadrige divin, en de hardis élans,
Monte au faîte du ciel, et les chaudes haleines
Ont fait onduler l'or bariolé des plaines.
La terre sent le feu circuler dans ses flancs.
La lumière filtrant sous les feuillages lents,
Dans l'ombre où rit le timbre argentin des fontaines,
Fait trembler à travers les cimes incertaines,
Au caprice du vent, ses jeux étincelants.
C'est l'heure flamboyante où, par les hautes herbes,
Bondissant au milieu des molosses superbes,
Dans les clameurs de mort, le sang et les abois,
Faisant voler les traits de la corde tendue,
Les cheveux dénoués, haletante, éperdue,
Invincible, Artemis épouvante les bois!
[143] Que de force et que de charme dans ce court poëme si net et si bien composé! Je ne puis certes ranger parmi les débutants votre ami et le mien, Valery Vernier, qui depuis longtemps déjà a pris et conquis sa place parmi les poëtes qu'on aime à relire souvent; mais s'il ne compte plus parmi les débutants, il compte au premier chef parmi les jeunes, car il possède et la vraie jeunesse et ce qui fait qu'on sera toujours jeune, la verve, l'humour, la bonne humeur et toutes les qualités réellement françaises. En voyant la tête blonde de Valery Vernier, en voyant chez lui un dandysme herculéen qui n'a rien de précieux ni d'affecté, ne devinerait-on pas que sa poésie doit être, comme lui-même éclatante de santé et de force? Non que l'attendrissement et la corde des pleurs manquent aux Filles de Minuit; la Nuit du Mont-Blanc et les Plaintes d'Hadrian, étudiant français, sont de belles et bonnes poésies romantiques, mais quand Renaud ou Hadrian, c'est-à-dire Valery Vernier, souffre et gémit, c'est en amoureux et non pas en malade. Il est facile de voir que ce fier garçon à la chevelure d'or n'a pas trouvé beaucoup de cruelles au moins parmi les rimes. On sent dans ses vers la bonne chaleur du vin vieux; de plus il y règne un tranquille mépris du philistin qui est une grâce toujours nouvelle, et même dans un sujet sentimental, le poëte montre une énergie robuste et saine qui nous réjouit le cœur. Je n'en veux pas d'autre preuve que ce morceau excellent intitulé:
MORITURI
Dans un frais vallon du Tyrol
Qu'avec amour le ciel regarde,
Leurs pas faisaient trembler le sol:
C'était le premier de la Garde.
Deux enfants qui parlaient d'amour,
Dans un jardin, sur la colline,
Entendant battre le tambour,
Avaient laissé la mandoline
Le chef avait dit: c'est demain.
On pensait aux adieux suprêmes;
Les soldats se serraient la main,
Toujours joyeux, toujours les mêmes.
Alors, avec un grand soupir,
Ecartant la haie embaumée:
Ils sont beaux, mais ils vont mourir,
Dit en pleurant la femme aimée.
La maison que Pierre le Grand a bâtie est un poëme absolument moderne, aussi moderne que l'exige Courbet, mais tout étincelant de cet esprit fin et incisif que les ennemis de la poésie sont si désolés de rencontrer chez les poëtes. J'aimerais à m'attarder avec les Filles de Minuit, un de ces livres aimés qu'on ne quitte pas volontiers, mais j'ai encore deux ou trois noms à écrire sur cette feuille volante! – Tout ce que je vous disais au commencement de cette lettre se trouve admirablement prouvé par le livre de M. Albert Mérat, qui avait déjà écrit, en collaboration avec M. Léon Valade, un volume de sonnets très-justement [144] remarqué: Avril, mai, juin. Jamais le vers n'a été plus savant, plus souple et plus libre que chez le poëte des Chimères; jamais aussi l'inspiration n'a été plus sincère, plus exempte de mensonge et de charlatanisme. Ce qui donne à ses poëmes d'amour un charme profond et pénétrant, c'est qu'évidemment l'auteur a éprouvé, ressenti, vécu tout ce qu'il nous raconte en artiste curieux, précis, aussi attentif au moindre détail que les auteurs impassibles de Germinie Lacerteux. En lui je trouve un curieux observateur, un peintre, un symphoniste, mais un homme aussi. Il exciterait certainement l'intérêt par l'intensité de son émotion: il ne dédaigne pas pour cela de savoir faire les vers assez parfaitement pour intéresser à la forme que revêt sa pensée: aussi ses poëmes peuvent-ils être relus cent fois!
Régulier, impassible et froid,
Ton cœur laissait couler sa dose
De sang pur, qui montait tout droit
A la tête légère et rose.
J'eus peur un moment: j'avais cru,
Troublé de mon amour, entendre
Comme un flot trop vite accouru
Sur une fibre fine et tendre.
Ce n'était rien; c'était la peur,
C'était peut-être mon cœur même;
Car, tu sais, tout nous est trompeur
Et douloureux, lorsque l'on aime.
Tranquillement ton sang coulait:
Et malgré cela, dans un charme,
Ce bruit glacial me semblait
Tomber ému comme une larme.
N'est-ce pas, mon ami, que cela est beau et sincère, même après l'Intermezzo? – En fait de sincérité, voici un nouveau venu, M. Charles Diguet, qui n'y va pas de main morte. En tête de son volume, Blondes et Brunes, coquettement et artistement imprimé en caractères elzéviriens, – une jolie eau forte de M. Grenaud nous montre cheveux au vent, moustache en croc, l'œil amoureux et rêveur, le poëte lui-même dont une dizaine de brunes et de blondes aux seins nus, aux lourds chignons à la mode, galamment escortées d'amours, soutiennent le médaillon dans une voluptueuse apothéose. Ces brunes, – ces blondes, dont quelques-unes sont rousses, c'est Mlle Lys d'Or, Mlle Amara, Mlle Emérance, Mlle Marie, Mlle Valentine, Mlle Lucette! En plein quartier Latin, dans ce quartier Latin que nos peintres de mœurs prétendent ne plus exister, sous les ombrages de Bullier, aussi maigres que ceux dont Raphaël a doté son Parnasse, le poëte a bravement aimé avec des rires, avec des enchantements, avec des sanglots aussi et avec des larmes Mlle Lucette et Mlle Amara: par le mauvais vin qui court, cela vaut mieux que d'aller au cabaret! Le chemin qui mène chez Mlle Lys d'Or n'est peut-être pas le chemin de l'Académie: qu'importe si l'on y trouve des vers émus et nouveaux. Ceux-ci sont nouveaux; ils ont [145] leur date. Venus en 1866, ils expriment leur époque et peignent des amours et des femmes que ni Musset ni Gavarni n'avaient connus. Heureux l'artiste qui sait s'affranchir de toute imitation et traduire des sentiments, des paysages, des figures modernes!
Comme un phare brillant elle attirait vers elle.
Nous l'avions appelé Amara: triste nom
Pour la femme, surtout quand cette femme est belle!
Amara n'aimait rien, excepté son surnom.
Parfois, elle disait: "La plus grande amertume
Est dit-on, dans le fiel! Insensés! et mon corps,
N'est-il pas plus amer que le corps qu'on exhume
Et d'où sortent les vers, ces compagnons des morts!"
Un jour elle ajouta: "Ma mère m'a vendue,
J'avais alors quinze ans; et depuis ce temps-là,
Tout le monde m'appelle une fille perdue.
Amusez-vous ailleurs, car je suis Amara."
Certes ceci n'est pas gai à en mourir, mais il y a dans ces vers une note vraie, trouvée, et qui sonne juste. Autant nos maîtres de 1830 avaient besoin de se battre les flancs pour imaginer l'horrible, autant, hélas! les poëtes qui nous succèdent le trouvent ingénument, sans le chercher parce qu'ils ont regardé la Vie et parce qu'ils l'ont vue telle qu'elle est.
Après avoir complimenté et encouragé M. Charles Diguet, qui sera un poëte, n'est-ce pas le cas d'oublier cette vision funèbre et de se débarbouiller tout à fait avec de l'ambroisie? Vous en trouverez à revendre dans un livre infiniment curieux, les Brises d'Orient, poésies roumaines traduites en vers français par l'auteur lui-même, M. D. Bolintineano. Un grand critique, M. Philarète Chasles, un de nos poëtes les plus brillants, M. Henri Cantel, ont présenté ce recueil au public mieux que je ne saurais le faire, et il faut les laisser parler.
"Aucun livre ne peut apprendre à personne ce que c'est que le Bosphore, et qui ne l'a pas vu n'en saurait peindre le charme et l'enivrante volupté. C'est un enchantement pour les yeux, pour l'esprit; et le cœur lui-même, si invulnérable devant ce qui est la vie humaine, se sent troublé en présence de sa souveraine beauté. M. Bolintineano a compris tout cela dans ses descriptions; il sait nuancer avec art ces grâces somnolentes et frémissantes et, parfois, pour réveiller notre esprit, qu'il croit avoir trop longtemps bercé, il éclate tout à coup par des vers d'une force imprévue. J'aime tout en lui, jusqu'à cette [146] aimable tristesse qui arrive à peine à l'amertume." Ainsi s'exprime éloquemment M. Henri Cantel, et M. Philarète Chasles dit après lui, en parlant de M. Bolintineano: "Dès que vous ouvrez son livre, une poétique forêt vous entoure, ses brises vous bercent, ses souffles mélancoliques et embaumés passent sur votre front, vous respirez une atmosphère inconnue, et c'est la vieille Asie, l'antique Orient, ou plutôt c'est une portion sauvage et neuve de ces régions favorisées."
Pour moi, ce que j'admire avant toute chose, ce qui m'étonne au-delà de toute expression, c'est qu'un étranger, tout poëte qu'il est, ait pu ainsi surprendre les secrets les plus intimes de notre versification; c'est qu'il s'en soit assimilé les habiletés, les élégances, les ruses même; c'est qu'il ait rendu siens ces rythmes si variés, si compliqués, si difficiles qui sont la gloire et l'écueil de notre art lyrique. A mon sens un tel miracle prouve tout en faveur de M. Bolintineano; mais il prouve aussi que notre versification solide et riche ne trompe pas ceux qui se fient franchement à elle, et qu'elle est à la fois le but et l'instrument de la plus éblouissante magie.
Je voulais vous parler aussi des beaux vers d'Armand Silvestre, dont George Sand vous a dit de si éloquentes choses; – je voulais vous reparler du Parnasse où se révèlent des inconnus tout rayonnant à leur premier soleil – de toute cette pléiade nouvelle qui étreint d'un bras la Vérité, et de l'autre l'Inspiration.
Je m'arrête, mon ami: en ces pages déjà trop longues, j'ai à peine effleuré mon sujet; pourtant j'en ai dit assez, je l'espère, pour amener vos lecteurs à croire, comme je le crois moi-même fermement, que nous allons voir se développer et grandir une école de poésie à la fois savante, artiste, inspirée, préoccupée de réalité et d'idéal, qui continuera glorieusement la grande tradition des écoles françaises des xvie et xixe siècles.
Erstdruck und Druckvorlage
Revue du XIXe siècle.
Les lettres, les arts, la philosophie, romans et voyages.
Bd. 3, 1866, 1. Oktober, S. 138-146.
Gezeichnet: Théodore de Banville.
Die Textwiedergabe erfolgt nach dem ersten Druck
(Editionsrichtlinien).
Revue du XIXe siècle online
URL: https://catalog.hathitrust.org/Record/000519479
URL: https://archive.org/details/revueduxixesicl02unkngoog
URL: https://archive.org/details/bub_gb_DPkbAAAAMAAJ
Kommentierte Ausgabe
Werkverzeichnis
Verzeichnis
Edwards, Peter J. / Hambly, Peter S.: Bibliographie de l'oeuvre de Théodore de Banville.
Genève: Slatkine érudition 2009.
Banville, Théodore de:
A Théophile Gautier.
In: Revue française.
Jg. 2, 1856, 10. August, S. 113-114.
URL: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32859632h/date
URL: https://www.uni-due.de/lyriktheorie/texte/1857_gautier.html#banville
Banville, Théodore de:
Les poètes nouveaux.
In: Revue du XIXe siècle.
Les lettres, les arts, la philosophie, romans et voyages.
Bd. 3, 1866, 1. Oktober, S. 138-146.
URL: https://catalog.hathitrust.org/Record/000519479
Banville, Théodore de:
Petit traité de poésie française.
Paris: Bibliothèque de L'Écho de la Sorbonne, impr. Adr. Le Clere o.J. [1872].
URL: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50423r
URL: https://archive.org/details/fre_b1212582
Banville, Théodore de: Petit traité de poésie française.
Seconde édition, revue et corrigée [recte: Titelauflage].
Paris: Bibliothèque de L'Écho de la Sorbonne, impr. Adr. Le Clere o.J. [1875].
PURL: https://hdl.handle.net/2027/nyp.33433082518667
Banville, Théodore de: Petit traité de poésie française.
Paris: Charpentier 1883.
URL: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62883435
Banville, Théodore de: Lettres à Pierrot.
Raffinement.
In: Gil Blas.
1884, 20. Juni, S. 1.
URL: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344298410/date
Banville, Théodore de: État de la Poésie en 1889.
In: Revue de l'Exposition Universelle de 1889.
Bd. 2, 1889, November, S. 313-317.
URL: http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/weltausstellung1889a
Banville, Théodore de: Critique littéraire, artistique et musicale.
Hrsg. von Peter J. Edwards u. Peter S. Hambly.
2 Bde. Paris: Champion 2003.
Banville, Théodore de: Lettres à Auguste Poulet-Malassis.
Hrsg. von Peter J. Edwards.
Paris: Champion 2006.
Literatur: Banville
Brandmeyer, Rudolf: Poetiken der Lyrik: Von der Normpoetik zur Autorenpoetik.
In: Handbuch Lyrik. Theorie, Analyse, Geschichte.
Hrsg. von Dieter Lamping.
2. Aufl. Stuttgart 2016, S. 2-15.
Evans, David: Théodore de Banville.
Constructing Poetic Value in Nineteenth-Century France.
Legenda 2014.
Hempfer, Klaus W.: La poésie lyrique des Parnassiens, ou le contre-positivisme esthétique.
In: Œuvres & Critiques 42.1 (2017), S. 279-302.
Hofmann, Anne: Parnassische Theoriebildung und romantische Tradition.
Mimesis im Fokus der ästhetischen Diskussion und die 'Konkurrenz' der Paradigmen
in der zweiten Hälfte des 19. Jahrhunderts. Ein Beitrag zur Bestimmung des Parnasse-Begriffs
aus dem Selbstverständnis der Epoche.
Stuttgart 2001 (= Zeitschrift für französische Sprache und Literatur. Beihefte; N.F., 31)
Hufnagel, Henning: Wissen und Diskurshoheit.
Zum Wissenschaftsbezug in Lyrik, Poetologie und Kritik des Parnasse 1840-1900.
Berlin u. Boston 2017.
Mortelette, Yann: Histoire du Parnasse.
Paris 2005.
Vgl. S. 205-206.
Mortelette, Yann (Hrsg.): Le parnasse.
Paris 2006 (= Collection "Mémoire de la critique").
Scepi, Henri / Whidden, Seth (Hrsg.): Le Parnasse contemporain.
Recueil de vers nouveaux (1866).
Paris 2024.
Whidden, Seth: Leaving Parnassus.
The Lyric Subject in Verlaine and Rimbaud.
Amsterdam u.a. 2007 (= Faux Titre, 296).
Literatur: Revue du XIXe siècle
Kalifa, Dominique u.a. (Hrsg.): La Civilisation du journal.
Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle.
Paris 2011.
Thérenty, Marie-Ève u.a. (Hrsg.): Presse et plumes.
Journalisme et littérature au XIXe siècle.
Paris 2004.
Edition
Lyriktheorie » R. Brandmeyer