Text
Editionsbericht
Literatur: Laprade
Literatur: Le Correspondant
[34] L'industrie s'est décerné l'empire du monde; nous venons d'assister aux fêtes de son couronnement. Les philosophes, les poëtes, les artistes, tous ceux qui représentent les royautés évanouies, se sont empressés de saluer cette souveraineté nouvelle. Il n'est guère de voix ayant autorité, bien ou mal acquise, qui ait refusé son hymne aux merveilles de l'Exposition. Les plus brillantes prophéties ont célébré l'avénement des machines comme le véritable âge d'or. Nous aurions trop à faire d'enregistrer toutes les promesses que prodigue à nos imaginations surexcitées ce mysticisme nouveau, le mysticisme de la matière. Les prétentions des apôtres de l'industrie ne vont à rien moins qu'à nous la donner comme le principe d'une politique, d'une morale, d'une religion nouvelles.
La transformation complète de tous les arts est le plus modeste des miracles qu'on nous annonce. Sous cette formule: La poésie et l'industrie, nous avons entendu relater les plus étranges ambitions. Il s'est formé des débris du saint-simonisme et du romantisme une école où l'on s'est donné la mission de créer la littérature du monde mécanique. La philosophie de cette école, c'est le fameux principe de la réhabilitation de la chair; sa méthode littéraire, c'est le colorisme outré des imitateurs de M. Victor Hugo, qui supprime la pensée au profit de l'image, et réduit la poésie à n'être plus qu'une impuissante écolière de la peinture. La combinaison de ces deux vieilleries ne saurait constituer quelque chose de bien neuf. C'est là néanmoins, et là seulement que se trouve le progrès, au dire des pontifes de l'avenir. Si le mouvement industriel est devenu, comme ils nous l'affirment, le vrai mouvement religieux de l'humanité, nous verrons surgir en effet la poésie de l'industrie, car la poésie dérive nécessairement de la religion.
En effet, au milieu de ce panthéisme des appétits et des travaux matériels et quand tout subit l'omnipotence de l'industrie, comment les arts prétendraient-ils conserver une vie indépendante, un principe distinct? Comment l'ordre du beau n'irait-il pas s'engloutir dans cet [35] océan de l'utile qui doit absorber le monde sacré du bien et du vrai? L'art, en effet, ne sera plus qu'une forme de l'universelle industrie; sa destination la plus haute est d'ajouter les délices du superflu aux satisfactions du nécessaire. L'art apporte à l'édifice de la jouissance et du luxe les embellissements qui doivent donner au possesseur du bien-être une pleine conscience de sa richesse. L'artiste, ainsi transformé en artisan de la fantaisie, obéit au sacerdoce des manufactures comme il obéissait à celui des sanctuaires de l'Égypte et de l'Inde, avant la naissance de l'art libre et l'avénement du beau. La confusion de l'utilité avec la beauté amène nécessairement, d'abord l'esclavage, puis l'anéantissement du beau sous la tyrannie de l'utile. L'industrie, avec ses prétentions actuelles, ne saurait embrasser les arts que pour les étouffer. Appelez, si vous voulez, cette mort une transformation; mais sachons bien que c'est en les subordonnant à sa toute-puissance, en les forçant à prendre pour but unique le seul idéal qu'elle poursuive elle-même, la jouissance matérielle, que l'industrie essaye de transformer ainsi l'art, la science et jusqu'à la religion.
Si nous en croyons les visions apocalyptiques des apôtres de l'avenir, la vieille poésie, celle qui nous entretenait de l'âme, de ses relations avec Dieu, avec les autres âmes, avec l'idéal, en omettant de nous dire comment et par quels procédés l'homme se vêtit, mange, et de quels meubles il est entouré, cette poésie à la fois enfantine et décrépite n'existe plus que dans le monde du bric-à-brac, boitant sur ses métaphores éclopées de luth, de harpe et de lyre. La vraie poésie, la poésie du progrès, ne chante pas, elle parle et ne s'accompagne que du battement des métiers et du sifflement de la vapeur. L'inspiration ne descend plus ni du Parnasse, ni du paradis, ni d'aucun autre de ces vieux nuages de carton relégués dans les décombres avec le spiritualisme. La poésie de l'avenir est éclose dans la chaudière de Papin; sa lyre, c'est la navette, c'est le marteau; elle ne tourne plus, comme autrefois, dans un cercle fatal avec le chœur des vieilles divinités et des vieux sentiments; elle s'élance toujours en avant comme le waggon sur le rail-way progressif. Où va-t-elle? personne ne le sait. Cependant, comme la terre est ronde, je suppose que, lorsqu'elle en aura fait le tour, elle repassera encore par les points du cercle d'où elle est partie, et ainsi de suite jusqu'à la consommation des siècles, ramenant forcément les bardes du progrès continu et infini à l'humiliante condition de tourner autour du même pôle que les vieux poëtes, à travers le même nombre d'idées et de sentiments éternels.
On peut craindre de donner trop d'importance, en la discutant sérieusement, à cette prétendue création d'une poésie nouvelle issue du progrès industriel; mais, comme l'industrie est un fait de plus en plus considérable, il est nécessaire de soumettre à une critique sévère ses [36] plus inoffensives comme ses plus orgueilleuses promesses, afin de savoir à quoi s'en tenir sur la valeur de ce renouvellement du monde moral, qui s'annonce comme devant émaner de la matière. Examinons donc les prétentions de l'industrie à transformer, ou seulement à élargir la sphère poétique.
La poésie n'est étrangère à rien de ce qui est humain, à rien de ce qui existe dans le visible ou dans l'invisible; chaque ordre de faits a son organe dans une des cordes de la lyre. Il y a trois grands ordres poétiques, comme il y a trois grandes réalités distinctes: Lieu, l'homme et la nature; Dieu, le principe et la fin de l'homme, l'objet avoué ou secret, l'objet éternel de ses aspirations; l'homme dans ses mille rapports avec ses semblables et avec son propre cœur; la nature, œuvre de Dieu et dont chaque phénomène, le plus imperceptible comme le plus éclatant, n'est autre chose qu'une image de la pensée du Créateur, un symbole qui l'explique à notre âme et en même temps un miroir où cette âme retrouve la figure de tous ses sentiments, de toutes ses idées, de tous ses rêves. La poésie qui laisserait une seule de ces trois grandes réalités en dehors du cercle de ses inspirations serait donc une poésie incomplète; elle ne saurait meme exister comme poésie si cette omission était absolue. La vraie poésie tient compte à la fois de ces trois éléments et sait les subordonner entre eux suivant leur nécessité et leur dignité. Si l'art a droit de tout admettre dans son œuvre immense où s'empreint l'universalité des choses, comme il est plus qu'une reproduction fatale du réel, il a le devoir d'établir dans ses créations la hiérarchie qui se manifeste dans la création divine. Comme la créature, il travaille sous l'empire d'un idéal, il choisit librement, il distribue, en vue d'une signification morale, ses plans et ses personnages, et relègue dans l'ombre et le demi-jour tous les détails secondaires. A chacune de ces diverses époques, l'art s'est inspiré plus parliculièrement à l'une ou à l'autre de ces sources principales de la pensée; dans ses heures d'énergie suprême il la puise également à toutes les trois. Quelquefois, et même aux grandes époques, il a trop oublié, ou bien l'homme devant la majesté de Dieu et l'immensité du monde extérieur, ou bien l'univers visible devant les perspectives non moins étendues et les richesses non moins immenses du cœur humain. Mais jamais une poésie, jamais l'art d'une époque sérieuse, et même une simple école digne de ce nom, n'a vécu sur un de ces détails, sur un de ces accessoires puérils que nous avons vu tant de prétendus novateurs nous donner tour à tour pour la condition unique et suprême de la poésie.
Or, si grande que soit sa place dans notre société, l'industrie n'est pourtant rien de plus qu'un détail dans l'ordre des choses humaines et dans le monde des idées. Avant de proclamer qu'on a trouvé une [37] poésie toute neuve, il faut prouver qu'on a découvert un monde inconnu. Or est-ce un monde, un monde bien neuf, que ce coin de la vie sociale, sur lequel les poëtes matérialistes veulent édifier une esthétique nouvelle? Sans doute c'était quelque chose d'inusité avant nous que cette préoccupation exclusive du bien-être physique, et cette importance souveraine accordée à l'art de se vêtir et de se meubler confortablement; mais tous les métiers nécessaires à la vie de l'homme sont-ils donc une nouveauté? L'industrie, en un mot, n'est-elle pas aussi vieille que l'humanité? Nous ajouterons: la poésie de l'industrie, cette grande découverte du matérialisme et de la stérilité d'esprit, est elle-même aussi vieille que la première hache et la première charrue; il n'y a d'orgueil en elle que la prétention d'être une poésie à part, d'avoir son importance en dehors et même au-dessus des autres ordres d'idées, d'être à elle seule un nouveau monde poétique. La poésie de l'industrie, dans les limites du bon sens esthétique et moral, est contemporaine de toute poésie, contemporaine du Ramayana et de l'Iliade. Qui peindra jamais d'une manière plus vivante et plus solide que n'a fait le vieil Homère l'industrie de son époque et l'homme en ses indispensables travaux? quel réaliste contemporain, en le supposant aussi complètement débarrassé qu'il désire l'être de tout souci du sentiment et de l'expression morale, atteindra jamais cette couleur, cette exactitude et ce relief? Cependant vous paraît-il qu'Homère ait jamais songé à choisir la charrue, l'enclume ou la roue du potier pour thème de l'hymne ou de l'épopée? Il a jugé la colère d'Achille d'un intérêt supérieur à celui de la forge de Vulcain. S'il nous a dépeint ses héros faisant rôtir les viandes de leurs festins, cette poésie de l'industrie ne se reproduit pas dans chacun de ses chants, quoique les guerriers du siège de Troie dînassent, sans contredit, chaque jour et plus vaillamment, j'imagine, qu'on ne le fait à Paris. Mais on n'avait pas encore découvert du temps d'Homère, ni du temps de Sophocle, de Virgile, de Dante, de Shakspeare, de Corneille, que les plus importantes fonctions de l'homme, et par conséquent les vrais sujets de la poésie, sont les travaux qu'il accomplit en vue du mieux manger et du mieux boire, en vue d'ajouter quelque pièce nouvelle à son costume et à son mobilier. Cette noble invention est la seule qui appartienne en propre aux poëtes et aux métaphysiciens de l'industrie moderne.
Nous ne sommes point des fanatiques du passé et de l'immobilité éternelle, et nous croyons si bien que les arts ont pu se renouveler, que nous saluons encore avec un amour filial cette belle rénovation poétique qui a éclaté sous la Restauration, et contre laquelle on a suscité des réactions si injustes et si impuissantes. En dégageant des excès des imitateurs ce grand mouvement intellectuel qu'on a appelé [38] le romantisme, reconnaissons en lui un légitime renouvellement de la poésie française. Le temps a sans doute mûri, modifié en nous quelques-unes des idées de cette école, mais nous devons, entre autres choses, à ses poëtes et à ses critiques de mieux comprendre, d'admirer avec plus de ferveur les poëtes et l'art grec, ces grandes choses jugées avec tant d'ignorance et d'ineptie par la critique du dix-huitième siècle, dont les héritiers avaient la prétention de défendre parmi nous les anciens contre la barbarie des admirateurs de Chateaubriand, de Lamartine et de Victor Hugo.
Osons le dire encore, la poésie française a été renouvelée par le Génie du Christianisme et René, par les Méditations et les Harmonies, par les Orientales et les Feuilles d'Automne. Les grands poëtes contemporains ont ouvert à notre imagination un monde qui lui était fermé; ils nous ont enrichis d'un grand sentiment poétique qui nous manquait, le sentiment de la nature. Que ce sentiment soit d'une importance inférieure au sentiment moral qui inspirait Corneille et Racine, que le cœur humain et les relations des hommes entre eux restent les grands objets de la poésie, nous l'admettons sans conteste; mais on nous accordera que le sentiment de la nature, sous toutes ses formes, a droit de cité dans la poésie, qu'il en est une partie essentielle, comme la nature elle-même est une partie essentielle de l'ensemble des choses. Or, que le sentiment de la nature fût absent de notre poésie avant Chateaubriand et Lamartine, c'est ce qu'aucun esprit poétique ne saurait un moment nier. Cette corde de plus, ajoutée à notre lyre, est donc une création véritable, et une création sérieusement poétique. Le monde de la nature est une mine profonde, infinie; le sentiment qui s'adresse à lui est un des plus vifs, des plus puissants et des plus variés; l'introduire dans une littérature à laquelle il était inconnu, c'était donc véritablement la renouveler, créer une poésie nouvelle.
L'industrie peut-elle être le principe d'un semblable renouvellement? est-ce là un ordre d'idées sérieusement poétique, essentiel à la poésie? est-ce enfin un monde tout nouveau pour elle? Voici ce que nous enseigne ce sujet l'histoire littéraire. L'industrie a toujours tenu dans la poésie une place, mais, comme il est juste, une place proportionnée à son importance poétique. Ouvrez tous les poëtes de l'antiquité, depuis Homère jusqu'aux derniers poëtes latins, et, loin de remarquer chez eux l'absence de la peinture du travail, vous trouverez au contraire que c'est par les poëtes plus que par les historiens que nous connaissons l'agriculture, les métiers et les mœurs industrielles des anciens. Ces renseignements sur l'industrie deviennent, il est vrai, moins abondants chez les poëtes modernes et surtout chez les poëtes français. Cela peut tenir en partie, chez nos écrivains des deux der[39]niers siècles, à la préoccupation, parfois excessive, de ce qu'on appelait alors la noblesse dans le style, à cette préciosité qui avait fait bannir de la langue littéraire tant de mots du plus excellent aloi. Mais cela provenait surtout de l'élévation du sens moral chez nos poëtes et de leur profonde connaissance de ce qui constitue réellement la grandeur et la beauté de l'homme, et par conséquent sa poésie; ils accordaient aux fonctions industrielles seulement la place qu'elles méritent dans une peinture de la véritable destinée de l'homme, de sa destinée morale. L'industrie a donc toujours tenu sa place relative dans l'esprit des poëtes, et si cette place n'a pas été plus considérable, c'est que l'industrie ne comportait pas plus de poésie. On va nous faire observer que ce domaine a été de plus en plus restreint par les poëtes depuis les temps primitifs jusqu'à nos jours, et qu'Homère, le chantre d'un âge héroïque, est plus fécond en documents sur les travaux mécaniques de son siècle que Lamartine, par exemple, qui touche à l'âge d'or de l'industrie. Donc, si ce n'est pas une révolution toute neuve en littérature que l'on prétend faire avec la poésie de l'industrie, c'est moins ou c'est plus, c'est la restauration d'un principe légitime.
Ceci nous amène à étudier quelle est en réalité la valeur esthétique du monde industriel, sa légitimité en poésie. Et d'abord, historiquement, c'est un fait bien remarquable que cette diminution des détails empruntés à l'industrie chez les poëtes à mesure qu'on s'éloigne des époques primitives, des temps héroïques, de ceux où l'industrie était encore dans l'enfance. A mesure qu'on s'approche de l'ère des inventions tenues pour les plus merveilleuses, du règne souverain des machines, on voit les poëtes détourner de plus en plus les yeux de tous ces prodiges dont on voudrait faire aujourd'hui l'objet principal de leur inspiration. Ce fait, si notable dans l'histoire, n'a-t-il pas sa signification dans la théorie? Faut-il en conclure que ce sont les poëtes, tous les poëtes du monde, qui ont perdu graduellement le sens poétique, ou bien que c'est l'industrie elle-même qui, comme la science, s'est déparée de la poésie en grandissant, s'est peu à peu dépouillée de toutes ses conditions poétiques?
Voici notre croyance très-arrêtée sur ce point: l'industrie de notre temps, avec tous ses prodiges, avec les résultats merveilleux qu'elle nous promet, arrivera peut-être à supprimer l'art et la poésie, à les remplacer dans les jouissances des hommes de l'avenir; mais elle ne saurait constituer par elle-même un monde poétique; elle ne saurait être l'objet essentiel ni même un objet important de ce que l'esprit humain a toujours nommé la poésie; elle devient, au contraire, de jour en jour plus impropre à figurer dans les peintures soumises aux conditions de l'art, plus impropre à servir la vie morale, à développer [40] le sens esthétique et la vraie notion du beau, en un mot à tenir sa place dans la poésie.
Oue les divers instruments et les divers travaux de l'industrie deviennent chaque jour plus difficiles à représenter dans les arts plastiques, qu'ils se refusent chaque jour davantage aux exigences éternelles de la peinture et de la statuaire et s'éloignent de plus en plus de la beauté des formes, c'est ce qu'il serait facile de prouver presque géométriquement. Et d'abord, à tous ceux qui ne sentent pas, d'instinct, qu'un char antique, une armure, les plis d'une toge, rentrent mieux dans les conditions d'un tableau, d'une statue et d'un bas-relief qu'une calèche moderne, une file de waggons et un habit noir, à tous ceux-là nous ne reconnaissons pas le droit d'avoir une opinion en matière d'art et de beauté. Ceci posé, nous allons énoncer quelques principes qu'il nous semble difficile de ne pas admettre.
1° Tout appareil mécanique, tout costume, tout genre de travail qui effacent trop l'action et la forme humaines, qui ne laissent pas à la figure de l'homme la plus grande place et le rôle le plus considérable dans la scène que l'artiste représente, sont inconciliables avec l'art en général et les lois nécessaires du beau. Il ne faut pas que l'homme et son initiative disparaissent des yeux ou de la pensée devant l'outil de travail, sinon je me trouve en face du modèle peint ou sculpté d'une machine, mais non pas devant une représentalion poétique.
2° Tout objet, qui, en lui-méme et indépendamment de la présence de l'homme, par la multipliclté des détails de sa structure, la complication de ses ressorts, leur disposition et leur mode d'action géométriques, s'éloigne de certaines lois de simplicité et d'élégance dans les lignes, ne peut pas être reproduit par la peinture et la statuaire dans les conditions de l'art.
3° Les proportions humaines, la taille et la force de l'homme, constituent une mesure commune à tous les arts et à tous les produits humains qui doivent s'ordonner dans les termes du beau. Tout ce qui affecte une dimension dont le rapport avec les dimensions du corps humain ne peut être facilement apprécié est contraire à l'art et exclusif de la beauté. L'infiniment grand et l'infiniment petit sont hors du domaine des arts plastiques. Une figurine à mettre dans une coquille de noix est une chinoiserie et non pas une œuvre d'art; le mont Athos taillé en statue, quoiqu'on en ait prêté l'idée à Alexandre, le plus artiste de tous les hommes qui ont régné, n'eût été qu'une œuvre monstrueuse et barbare.
D'où vient l'incontestable supériorité de la Grèce dans les arts de la forme et de la pensée? C'est que l'art tout entier, statuaire, peinture, architecture, poésie, nous pourrions ajouter politique, philosophie, industrie, est calculé sur les proportions de l'homme; que l'art [41] grec n'a jamais eu l'ambilion de dépasser ce qui est à la portée des sens, des forces et de la pensée de l'homme. Les temples, les maisons, tous les édifices grecs, sont relativement petits à côté des colossales baraques de la maçonnerie contemporaine.
4° Non-seulement toute œuvre à laquelle l'homme ne peut pas facilement appliquer par la pensée sa propre dimension pour mesure est étrangère à l'ordre du beau plastique, mais aussi tout instrument, tout agent mécanique, dont la puissance est hors de proportion avec la force du corps humain, ne peut pas devenir l'objet d'une représentation de l'art, être chargé d'un rôle poétique; il faut, comme nous l'avons dit tout à l'heure, que l'action de l'homme ne disparaisse pas devant le jeu de la machine; il faut, de plus, que la lutte entre eux puisse être conçue comme possible et même que la victoire de l'homme sur la chose ait quelque chance en sa faveur. L'art peut ne représenter un homme combattant un lion, un taureau, un éléphant même, retenant des chevaux qui l'emportent; mais concevez une action possible à l'adresse, à la force, à l'intelligence de l'individu exposé au choc de deux convois lancés à toute vapeur sur un chemin de fer?
On objectera peut-être en faveur de la poésie des constructions colossales, des machines qui multiplient par milliers la force humaine, que leurs proportions écrasantes pour la personnalité éveillent en nous le sentiment de l'infini, qui est à coup sûr un sentiment poétique. Le sentiment de l'infini peut-il naître de l'aspect d'une œuvre industrielle? C'est une question que nous examinerons à propos de la poésie proprement dite; mais, dans les arts plastiques, ce n'est pas l'infini, c'est le beau qui est la règle suprême. L'idée de l'infini est du domaine de la poésie et de la musique; la peinture, la statuaire, l'architecture, ont pour première loi la beauté de la forme, et il n'y a de beauté dans les arts de la forme que là où il y a proportion comparable avec les proportions humaines.
La nature dépasse sans doute, dans ses formes et dans ses perspectives, tout ce que l'homme peut mesurer à sa propre taille; mais autre chose est le beau dans la nature, autre chose est le beau dans l'art. L'homme, ne pouvant reproduire la nature d'une manière absolue, ne pouvant créer des mondes vivants, construit dans l'art un monde qui a ses lois particulières, et sa règle première est un certain rapport de proportion avec son auteur. L'immensité d'une construction ou d'une force mécanique, créée par l'homme, n'est donc pas nécessairement une qualité poétique, et surtout une qualité au point de vue des arts de la forme.
5° Les caractères de la solidité, de la durée, sont essentiels à l'œuvre d'art, aux objets, aux situations mêmes que l'art représente. Le beau dans la forme suppose une certaine immobilité; toute action trop vio[42]lente, tout mouvement désordonné, comme tout mouvement mécanique, ne peuvent pas être reproduits par la peinture et la statuaire. Cela est si vrai, que l'expression même des passions sur le visage humain, lorsqu'elle est poussée à un certain degré de véhémence, fait obstacle à la beauté de la forme. A toutes les grandes époques de l'art, la figure humaine a été représentée de préférence dans l'état de calme et de sérénité. Plusieurs âges de l'art et plusieurs degrés de beauté séparent le Jupiter Olympien du Laocoon. La violence du geste et la rapidité du mouvement, portés à un certain point, échappent tout à fait aux moyens de représentation dont l'art peut disposer. Ainsi un artiste peut traduire sur la toile et même sur le marbre la vélocité d'un homme ou d'un animal lancés à la course, mais peignez donc le vol d'une bombe ou le passage d'une locomotive!
Les travaux de l'industrie primitive et, jusqu'à un certain point, de celle qui a précédé la grande ère industrielle, l'ère des machines, s'accomplissant tous par l'action directe et le bras de l'homme, pouvaient être représentés par les arts, et ils avaient leur beauté dérivant de la beauté de l'homme lui-même. Il y a une poésie dans le labour à la charrue, dans la moisson à la faucille et le battage au fléau, parce que l'adresse, la vigueur de l'homme, son expression, ses attitudes sont le sujet principal. Mais lorsqu'une machine remplace l'homme, l'action de la machine, à cause de sa rapidité, échappe à toute représentation; sa structure, forcément géométrique, est contraire à la beauté: l'action de l'homme n'étant plus l'action principale, son rôle disparaissant tout à fait, la poésie disparait avec lui. L'industrie des machines ne peut donc être représentée dans les conditions du beau plastique; on peut ajouter qu'elle est subversive des arts qui veulent s'unir à elle et concourir à un même but. Un seul exemple: l'architecture, en cherchant à se mettre en harmonie avec les goûts, les nécessités mêmes de l'ère industrielle, c'est-à-dire d'une époque très-mobile, où les besoins, les caprices, les inventions se succèdent rapidement et se détruisent les uns les autres, sera obligée de devenir un art mobile, fragile, capricieux comme le monde industriel. Chaque jour une machine, une industrie, chassant l'industrie et la machine de la veille, l'architecture devra construire une nouvelle habitation à cet hôte nouveau; les édifices n'auront donc plus ni le caractère ni même le besoin de la solidité et de la durée; on devra construire, non plus, comme autrefois, en vue de l'éternité, mais dans la pensée d'une démolition plus ou moins prochaine. Or, dans cette donnée, il n'y a pas d'art possible, parce que le beau dans l'art suppose et engendre l'idée de la permanence. Voyez, en effet; la suprême création de l'architecture industrielle, c'est l'édifice de verre. Le Palais de Cristal, voilà le symbole et le type de cet art. Or le Palais de Cristal et [43] tous les édifices de fonte, de bois et même de granit, qui s'élèvent dans de pareilles conditions de déplacement et de fragilité, peuvent être des décorations plus ou moins agréables et commodes, mais ne sont pas des monuments et ne constituent pas une architecture. En architecture, la durée est une beauté, et la vraie beauté est un élément de durée. En mettant à part les temples de l'Inde creusés dans le roc, les pyramides d'Égypte, qui ne sont que des rochers artificiels, et en prenant l'architecture au moment de sa plus grande splendeur, à l'époque gréco-romaine, nous voyons la solidité décroître avec la beauté proprement dite. Il n'est question ici que de la solidité. Pour faire crouler un édifice grec ou romain, il est besoin d'une volonté bien arrêtée de le détruire; le Parthénon est encore debout malgré les siècles, les boulets et les antiquaires, et nos églises gothiques, qui ont presque deux mille ans de moins que lui, ne subsistent qu'à la condition d'être dans un état de restauration, c'est-à-dire de reconstruction perpétuelle. Que sera-ce donc des cathédrales de verre et des chapelles de fonte qu'érige à ses dieux éphémères le sacerdoce industriel?
En résumé, l'industrie moderne est subversive de la peinture, de la statuaire et de l'architecture, dès qu'elle prétend les soumettre à sa propre inspiration et leur imposer ses fonctions diverses comme thèmes des œuvres d'art.
Mais nous n'avons pas oublié que c'est la poésie de l'industrie qui est en question, plus spécialement que sa valeur au point de vue des arts plastiques. La poésie est, sans doute, un autre ordre que celui des arts; mais bien des principes leur sont communs, et ce sont ces principes, également applicables à la peinture de la beauté extérieure et à l'expression du beau moral, qu'il serait nécessaire de consigner ici.
Si la poésie du monde industriel ne réside pas dans l'élégance des instruments qu'elle emploie, dans la beauté pittoresque des scènes dont elle est l'occasion, dans les divers thèmes nouveaux qu'elle peut fournir aux arts de la forme, elle réside sans doute dans le sentiment, dans la beauté morale; et, ce que les habitudes du travail moderne ont pu perdre, du côté extérieur et plastique, sur l'industrie primitive, l'ont-elles regagné du côté de la poésie proprement dite, c'est-à-dire dans le monde de l'âme? L'industrie moderne, celle qui substitue dans les divers métiers et jusque dans l'agriculture l'action des machines au travail immédiat de l'homme, a-t-elle mêlé à nos labeurs un charme qui leur manquait auparavant; a-t-elle remplacé chez l'ouvrier la beauté sculpturale des gestes et des attitudes par cette poésie intérieure qui naît de la conscience d'une plus grande force, d'une plus grande adresse, en un mot, d'une plus grande valeur personnelle? Si elle a [44] enlaidi quelque peu le monde matériel, a-t-elle embelli le monde moral? Chacune de ses fonctions sait-elle agrandir la sphère d'idées de celui qui s'y consacre? Est-ce, enfin, en faisant éclore dans l'âme de ses adeptes tout un ordre nouveau et supérieur de sentiments nobles, délicats, profonds, énergiques, qu'elle a créé un monde poétique nouveau, une source d'inspiration nouvelle assez vive pour faire oublier au poëte tous ces motifs usés de l'ancienne poésie, la peinture de l'homme moral, la contemplation de Dieu et de la nature? Tels sont les bienfaits sur lesquels devrait reposer cette brillante promesse d'une poésie toute jeune et toute féconde, née du progrès matériel. Voici maintenant les réalités qui répondent à ces hypothèses et à ces promesses.
L'industrie des machines fait plus que détruire l'élégance et le pittoresque des scènes de travail, elle engendre chez l'ouvrier l'ennui, le dégoût; par l'uniformité et l'automatisme des mouvements, elle ne laisse aucune place à l'imagination, à l'initiative personnelle. L'homme condamné pour toute sa vie à donner le même coup de marteau, à pousser le même piston, est réduit à la condition d'un levier; il devient lui-même un agent aussi peu libre, aussi peu intellectuel que le cuivre ou le fer. A mesure que l'industrie se perfectionne dans le sens des machines, l'attrait professionnel disparaît. Autrefois chaque métier pouvait s'emparer de l'imagination et devenir un art; aujourd'hui tout métier tend à devenir une fonction d'automate. Est-il possible, par exemple, que la sculpture du bois par l'emporte-pièce et la vapeur intéresse l'ouvrier moderne comme leur libre ciseau intéressait les poétiques artisans qui ont ciselé ces stalles, ces crédences, cette charmante menuiserie du moyen âge? Croyez que le dégoût d'un travail d'automate est pour beaucoup dans cette ardeur de déclassement, dans cette soif de jouissances qui tourmente les populaions industrielles. L'agitation des classes inférieures ne provient pas seulement des souffrances réelles, des besoins factices, des idées fausses, des passions mauvaises, mais aussi de l'ennui. L'ouvrier s'ennuie parce que les machines lui ont réservé une besogne purement mécanique, sans imagination, sans poésie, tranchons le mot, abrutissante. L'homme, pour prendre du goût à un travail, a besoin de s'y sentir dans la liberté d'un esprit qui crée. Il faut que ce soit l'intelligence, l'imagination de l'ouvrier qui dirige l'outil dont il se sert, et, dans l'industrie actuelle, c'est l'outil qui dirige l'homme. L'artisan n'est plus le maître, mais le serviteur de l'instrument qu'il emploie; son service est fatalement réglé; la moindre désobéissance aux injonctions de la machine est souvent punie de mort. Les agents directs de l'industrie ne subissent pas seuls la domination humiliante que font peser sur l'intelligence et la liberté tous ces engins nouveaux dont nous sommes si [45] fiers. Quiconque a pris place dans un convoi traîné par la vapeur a senti qu'il se dépouillait pour quelques heures de sa qualité d'homme et devenait une chose. La force, l'adresse, la liberté même, ont passé dans la locomotive. L'homme, plusieurs centaines d'hommes, sont à la merci d'un caillou jeté sur le chemin ou d'une paille cachée dans un morceau de fer. On peut lutter contre les animaux féroces, même contre les éléments dans leurs déchaînements réguliers et naturels; on résiste à une tempête, à une inondation; mais quand vous auriez à la fois la vigueur d'Hercule, le courage d'Achille, la sagesse de Nestor, la science de Newton et d'Archimède, vous serez aussi impuissante à lutter contre la machine à vapeur qu'un des ballots qu'elle entraîne avec vous. Contre les anciens dangers du travail et des voyages, l'individu pouvait se défendre par sa prudence, son adresse, son courage personnels. Vous ne pouvez opposer aux dangers nouveaux que la résignation et le fatalisme; votre liberté, votre activité, sont supprimées. Singulière façon de développer la poésie dans l'âme humaine! Calculez, en outre, les effets moraux de ce despotisme nécessaire que les directions anonymes et irresponsables des grands sols industriels font peser autour d'elle sur toute individualité, et vous jugerez ce que deviendra, sous l'empire de l'industrie, ce noble sentiment de l'énergie, de l'initiative personnelle, l'une des sources les plus fécondes de la poésie. Quelque jour, en face de ce nouvel univers mécanique que sa science crée, l'homme se trouvera dans la situation de cet élève de Faust qui, par la magie, transforme son bâton en porteur d'eau, mais, ne pouvant plus le faire obéir, voit sa maison inondée et tremble pour sa vie devant sa propre création. Ainsi les machines modernes, qui semblent aussi le produit d'une évocation magique des pouvoirs secrets de la nature, seront un jour, par leurs conséquences morales, non plus les auxiliaires, mais les dominatrices de l'homme, et créeront autour d'elle une véritable servitude.
Est-ce donc alors la terreur et la conscience de notre faiblesse près de ces monstrueux engins qui doivent susciter en nous l'inspiration poétique? La poésie jaillira-t-elle d'un nouveau sentiment de l'infini éprouvé par nous devant ces irrésistibles colosses de l'industrie et l'effrayante puissance de leur action, comme nous l'éprouvons devant les grandes scènes de la nature? Ce n'est pas, je le suppose, de la terreur qu'on fait dériver la poésie de l'industrie. D'ailleurs, si puissante, si gigantesque que soient une machine, une construction humaine, l'étonnement ou l'effroi qu'elles suscitent a-t-il rien de ce sentiment poétique de l'infini qui émane de la nature, du spectacle des vastes horizons, des tempêtes, des montagnes, des grandes forêts? L'idée poétique et religieuse de l'infini ne saurait naître devant les plus immenses créations industrielles.
[46] Est-ce de l'admiration que surgira la poésie nouvelle devant ces êtres merveilleux que le génie de l'homme a créés si supérieurs en force au corps humain? Certes, une large admiration est accordée aux œuvres de la science moderne; les poëtes ne sont pas des derniers à lui payer ce tribut. Mais l'admiration, même quand elle s'adresse à un objet tout nouveau, est-elle une forme nouvelle du sentiment poétique? Ce que le poëte peut éprouver de reconnaissance et de respect devant la machine à moissonner ou à battre le grain est-il bien différent de ce qu'il a dû sentir à l'aspect de la première charrue? L'étonnernent est le même; seulement, quand la réflexion arrivera, le poëte moderne sera forcé de juger ce nouvel engin, au point de vue pittoresque et dans des conséquences morales, comme nous avons jugé tout à l'heure les machines en général. Au lieu de faire ressortir l'adresse, la force, l'intelligence, en un mot la valeur personnelle de celui qui l'emploie, la machine moderne réduit l'ouvrier à n'être plus à côté d'elle qu'une autre machine de chair, inférieure et subordonnée à l'instrument de bois et de métal.
Je vois donc, au lieu d'une poésie nouvelle issue du monde que l'industrie a créé, l'amoindrissement physique, intellectuel et moral, la privation des principaux éléments poétiques pour tous ceux qui vivront dans cette sphère exclusive. Ils ne seront rien autre chose que les humbles coadjuteurs des machines à qui seules appartiendra la force, et les serfs de la puissance anonyme invisible, impersonnelle, sans âme et sans entrailles, d'où émanera la direction de cet univers mécanique.
Voila pour l'effet direct de l'industrie sur l'homme qui vit avec elle dans un contact journalier. Mais si ce n'est pas des usines mêmes et de la sphère d'action immédiate de l'industrie que la poésie qui lui est propre doit sortir, c'est peut-être du monde moral qu'elle aura renouvelé à son image, de la société qui l'adoptera pour suprême religion? Et d'abord, si l'industrie possède cette merveilleuse puissance de rénovation que les mystiques lui attribuent; si, ce que la religion elle-même n'a pu faire encore, elle réforme dans la vertu et le parfait bonheur la vie entière des sociétés humaines; si elle engendre la paix, l'amour, la sagesse, la beauté, le bon vouloir universel, l'âge d'or, en un mot, la poésie de cet âge d'or sera la poésie de la paix, de la sagesse, de la beauté, c'est-à-dire qu'elle émanera de principes très-vénérés déjà par les poëtes de l'ancien monde, quoique très-rares dans tous les temps; ce ne sera donc pas une poésie particulière à l'industrie, mais l'antique, l'éternelle poésie du spiritualisme, celle que vous déclarez surannée, cette vieille lyre qui vous offusque tant et que vous voulez remplacer par la chaudière à vapeur et la pile de Volta. Plaise à ce Dieu de l'âme, qui n'existe plus pour vous, que le progrès industriel renouvelle ainsi par un progrès moral la face poétique de [47] notre société! Mais avons-nous vu, jusqu'à présent, que la religion de l'industrie ait eu pour effet de rendre plus nobles, plus généreuses, plus délicates, plus fières, plus poétiques en un mot, les âmes et les nations qu'elle possède?
Je regarde les classes populaires adonnées au travail des manufactures, des usines et des métiers modernes, et, presque partout, je suis forcé de constater en elles la dégénérescence, le rachitisme et la laideur physique. L'histoire de nos dernières années atteste assez le malaise moral auquel elles sont en proie. Avec des ressources pour le bien-être matériel qui, aidées d'un peu de moralité, seraient supérieures de beaucoup à celles que possédaient les ouvriers des précédents régimes, quel mécontentement, quelle envie des classes riches et lettrées chez la plupart de ceux qui travaillent de leurs mains! Et cependant ces barrières sociales, ces distinctions de classes, ces privilèges qu'on accusait de tous nos maux, ne sont-ils pas tombés sous le niveau de l'égalité? Avec la mobilité actuelle des positions et des richesses, où finit le peuple, où commence la bourgeoisie? Malgré cette fusion continuelle des deux grandes classes industrielles, je cherche les sentiments, les idées, les croyances, les intérêts mêmes qui peuvent leur être communs; je n'y vois guère de sentiments partagés qu'une soif désordonnée des jouissances matérielles, une égale indifférence pour tout ce qui est noble, élevé, pour tout ce qui sort du cercle de l'intérêt. Le régime de paix et d'amour que doit enfanter l'industrie commence donc par une sourde hostilité entre les classes, la plus douloureuse de toutes les guerres, qui a menacé tant de fois de devenir un combat d'extermination à la face du soleil. Certes, nous ne demandons pas mieux qu'on nous prouve la supériorité d'intelligence, de moralité, de bien-être de la population manufacturière de nos jours sur ces anciennes confréries des métiers, qui avaient au moins leurs jours de fêtes franches et naïves où elles oubliaient leurs misères et leurs ressentiments. Elles savaient, dit-on, moins bien lire et moins bien compter que les classes ouvrières de notre temps; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'elles n'étaient pas plus accessibles à tous les mensonges, à toutes les sottises, à tous les mauvais conseils des charlatans, des ambitieux et même des fanatiques.
Je voudrais dans la classe parvenue au sommet de la hiérarchie industrielle trouver une noblesse véritable, un ordre politique intelligent et libéral; je le voudrais au moins exempt des préjugés et des vices de la misère, d'un étroit attachement à l'intérêt, de l'envie, de la vanité, de l'indifférence pour les choses de l'esprit; je voudrais découvrir quelque chose de plus poétique dans les vertus de cette classe, que ce bon sens très-borné qui fait dans la vie publique de très-égoïstes citoyens des hommes les plus sages et les plus honnêtes dans la [48] vie privée. L'aristocratie industrielle n'a jamais montré chez nous, en fait de sentiments politiques, qu'une vanité tempérée par la peur; il lui suffit pour toute garantie libérale de ne pas voir s'élever au-dessus d'elle une noblesse de naissance. Le sacrifice de cette vanité est le seul qui lui soit un peu diffcile à faire dans les moments de terreur où le capital est menacé. Devons-nous beaucoup de dignité dans nos mœurs politiques, de libéralisme intelligent, d'énergie au moment des révolutions et du danger, à l'éducation que nous fait l'industrie? Confessons donc, sans précautions oratoires, l'état de nos habitudes intellectuelles. Toutes ces tendances des âmes et des classes formées par l'industrie sont peut-être le commencement d'une morale et d'une politique nouvelles; mais, si le mot de poésie conserve le sens qu'il a toujours eu dans les langues humaines, comment imaginer que quelque chose d'analogue à la poésie puisse naître d'un pareil état des esprits?
Si quelque poésie fermente au contact de l'industrie moderne, au souffle de l'esprit qu'elle a créé, c'est la poésie ardente et sombre de Dante ou de Juvénal, c'est la satire vengeresse qui se lève pour flageller les lâchetés et les insolences: poésie très-ancienne dans le monde, aussi vieille, hélas! que les vices du genre humain, et la seule à laquelle le nouveau monde industriel ait encore ouvert une mine féconde. Ce n'est pas cette muse, à leurs yeux morte et ensevelie, que veulent exhumer les inventeurs de la poésie de l'industrie; leur entreprise est plus diffcile, sinon plus glorieuse; il s'agit, pour eux, de substituer le mouvement de la matière à l'action de l'esprit, et, à la place de ces ressorts usés, la religion – la nature, les affections de l'âme, de donner le piston et l'hélice pour moteurs à la poésie.
Des aberrations du même genre, en matière d'art et de morale, ont suscité dans quelques esprits agités et confus l'invention d'une poésie de la science à côté de la poésie de l'industrie. Pour ne pas se perdre en redites sur les vieux thèmes fournis par le cœur humain, le poëte n'a rien de mieux à faire qu'à rimer les manuels de chimie, d'astronomie ou de mécanique, et les cours du Jardin des Plantes. Le voilà obligé d'aller demander aux pontifes de ces thèmes scientifiques qui se renouvellent tous les jours le mot d'ordre de son inspiration quotidienne. C'est là se faire une noble idée de la dignité de l'art et de son autonomie! Ainsi, depuis l'Inde, l'Egypte et le moyen âge, la poésie n'a cessé d'être la voix des grands sacerdoces qui ont fait l'éducation du genre humain, elle n'a sacrifié les immenses ressources qu'elle trouvait dans la ferveur et la naïveté de sa foi religieuse au besoin de vivre de sa propre vie, de se distinguer comme un pouvoir particulier après cette confusion des pouvoirs naturelle aux âges primitifs, à la nécessité de constituer l'ordre du beau dans son indépendance vis-à-vis [49] les autres ordres de la pensée; elle n'est sortie, en un mot, de la noble servitude des sanctuaires que pour faire la parade et amasser la foule devant les laboratoires des savants! Encore si nous étions dans une des grandes ères philosophiques et créatrices de la science! mais, il ne faut pas s'y tromper, malgré le prestige des dernières grandes applications scientifiques, la vraie science, c'est-à-dire l'étude de la vérité pour elle-même, cette ardeur, désintéressée de toute autre chose que le vrai, qui cherchait d'abord le royaume des hautes théories, sachant bien que les applications utiles nous sont données par surcroît, cette science, la seule mère des grandes découvertes, agonise aujourd'hui entre les bras de l'industrie; elle devient l'humble servante des chercheurs de brevets d'invention et de médailles d'or aux expositions universelles. Ce ne fut jamais par l'indépendance de leurs adeptes que brillèrent les sciences physiques; un jour n'est pas loin où elles subiront tout à fait le joug de l'industrie mercantile. La poésie et les lettres auront plus de dignité; elles ont leur domaine où elles régnent libéralement, elles n'en sortiront pas; elles ont leur langue à elles, faite pour exprimer les libres mouvements de l'àme, elles ne consentiront pas à se faire les serviles interprètes de ce langage barbare, qui sert à formuler les combinaisons de la matière inerte. Si la vieille poésie est destinée à périr comme vous le dites, elle périra du moins dans sa fière intégrité; elle sera ensevelie, comme jadis le chevalier, mort sans postérité, avec son écusson et ses armes, avec cette lyre d'or qui vous semble si usée et que repoussent vos doigts inhabiles. Vous avez votre lyre à vous: allez, mécaniciens, faites siffler la locomotive.
La poésie de la science est donc une invention du même ordre que la poésie de l'industrie; elle atteste une ignorance absolue et des vraies conditions de la science et des vraies conditions de la poésie. Mais, dans ces projets d'envahissement de l'art par des éléments qui lui sont étrangers et qui lui deviennent hostiles, il y a autre chose qu'une erreur d'esthétique, qu'une rêverie aventureuse de quelques esprits stériles en quête de nouveauté, il y a un symptôme très-grave de la subversion de l'ordre moral. Ce n'est pas seulement l'industrie, c'est la matière, c'est l'appétit sensuel qui demande la suprématie du monde. La poésie est le couronnement de l'édifice spiritualiste et religieux; les grossiers instincts de l'homme bestial aspirent à se répandre sur ce faîte, pour dominer, de là, plus sûrement la société tout entière. L'esprit humain, l'initiative de la liberté humaine, passent aujourd'hui de la tête et du cœur dans les entrailles; les appétits physiques commandent au lieu d'obéir; c'est là le sens de cette importance exubérante que l'industrie et les classes industrielles s'attribuent dans le monde moderne. Je retrouve au fond de toutes nos hérésies sociales, de toutes nos fermentations populaires, un levain [50] issu de celte doctrine si franchement émise par le saint-simonisme: la réhabilitation de la chair. Comme tout principe militant, la chair ne saurait se contenter d'étre seulement réhabilitée et mise sur un pied égal avec l'esprit; il faut qu'elle obéisse ou qu'elle commande; on l'a dispensée de l'obéissance, elle a voulu gouverner, elle gouverne. Si populaire que soit sa domination, elle a besoin d'être colorée aux yeux de tous d'un vernis intellectuel qui dissimule son caractère bestial, comme les despotismes qui tiennent à se colorer des apparences de la liberté; elle s'est donc nommée l'industrie pour ne pas être appelée de son vrai nom, la matière; elle a cherché à s'ennoblir avec l'idée de travail, et, par conséquent, de libre activité, d'initiative morale, que le mot d'industrie suppose. Le monde industriel, c'est-à-dire le monde où le désir des jouissances, l'horreur de l'effort, du sacrifice, de la soumission, et par conséquent l'horreur du travail, sont les faits moraux les plus évidents, s'est appelé néanmoins par excellence le monde des travailleurs; tous ceux qui ne remuent pas de la houille, du cuivre, du coton et du fer, sont les oisifs. Les travailleurs ont la prétention d'être à eux seuls toute la société; prétention bien naturelle, puisque eux seuls sont déclarés utiles; par conséquent, la sphère du travail, l'industrie, est désormais la seule et véritable sphère poétique. A toute société il faut une littérature qui l'exprime; inventons une littérature de la mécanique.
On commence, même dans ce monde des intérêts, à trouver lourd le despotisme de l'industrie; il n'y a qu'un moyen de le secouer; c'est de secouer le joug de la mollesse, du luxe, des besoins factices, de l'égoïsme, en un mot, de cette chair par trop réhabilitée. Rétablissons en nous-mêmes la souveraineté légitime de l'intelligence, de l'idée religieuse, de l'activité morale, et nous aurons renversé dans la société tout entière cette immonde usurpation de la matière qui revêt parmi nous tant de formes diverses, et qui s'est exprimée dans les lettres par cette formule: la poésie de l'industrie.
Jadis, sous le règne du sentiment religieux, de l'amour du beau, du sentiment de l'honneur, de la philosophie, alors que l'intelligence et le cœur jouissaient, au moins en droit, de leur suprématie, l'industrie n'était réputée que la servante de l'homme; on n'avait pas compris que l'industrie pût devenir à la fois le but suprême et la suprême fonction de la vie sociale; elle était, comme la faim, comme la soif, une nécessité à laquelle la raison ordonne de satisfaire, mais dont on n'aurait pas imaginé de s'enorgueillir. L'industrie est commune à l'homme et aux animaux, parce que les besoins matériels leur sont communs. L'abeille et le castor sont de merveilleux industriels. Mais la poésie est l'attribut exclusif de l'homme, parce qu'il y a autre chose dans l'homme que des besoins.
[51] Cette explosion de stupide orgueil qui, à chacune de nos révolutions, tend à renverser toutes les supériorités et toutes les influences légitimes, pour porter en haut l'aristocratie du poignet, le gouvernement par l'atelier national, est, au fond, le même principe qui, dans nos périodes de vie régulière, un peu conteur et mieux habillé, fait prévaloir les idées, les personnes et les intérêts industriels. Tout le monde est coupable de ce renversement du monde politique et moral, tous ceux qui représentent les principes les plus contraires à ces erreurs, les philosophes spiritualistes, les artistes, les hommes de gouvernement, les poëtes; – coupables non pas seulement d'avoir porté à des institutions respectables ces coups imprudents, objet aujourd'hui de plus d'un remords, mais coupables encore plus, s'il est possible, de lâches et inintelligentes flatteries adressées à la force nouvelle qui venait se substituer aux antiques autorités. Il n'est presque pas d'écrivain de nos jours qui n'ait glorifié, encensé le mouvement industriel et les classes qui vivent dans ce mouvement. L'industrie est la mode, la puissance du jour, et chacun se tourne vers le soleil levant. Ce déplorable amour de la popularité, que nous avons vu abaisser les plus hautes intelligences, a été le grand levier de cette révolution. Par elles-mêmes la foule et la force matérielle sont infécondes et impuissantes; on ne les a jamais vues rien accomplir, même une destruction, si ce n'est sous l'influence d'un patricien de la naissance ou de l'esprit, prévaricateur par lâcheté ou par orgueil, et dont le génie révélait et imprimait au vulgaire inerte le seul genre de force qu'il renferme. Bien des penseurs, et les poëtes tout les premiers, ont donc humilié la majesté des arts libéraux devant la force matérielle des arts serviles, par amour de la popularité, par cette raison que les vigoureux et innombrables battoirs des mécaniques industrielles applaudissent plus bruyamment que les mains délicates qui ne tiennent pas la navette ou le marteau. En même temps la philosophie, la politique, croyaient devoir, par de sages concessions, admettre avec elles l'industrie sur un pied d'égalité dans le monde de l'intelligence. L'industrie se soucie fort peu de philosophie, de poésie et de morale; elle a laissé toutes ces voix éloquentes l'entretenir de ses grandeurs, qui se traduisent en bons dividendes, elle n'a pas même salué ses panégyristes, et aujourd'hui elle les pousse tout franchement à la porte avec ses gros coudes de fonte. Mais tout cela ne change rien aux vrais rapports des arts mécaniques avec les arts de la pensée; c'est une révolte heureuse, un coup d'Etat qui déplace la force matérielle, mais ne saurait créer une autorité. Les poëtes ne s'inclineront pas devant la puissance du fait accompli, et surtout ne l'aideront pas à se légitimer par le mélange adultère d'un élément de droit, par l'invention d'un principe nouveau. La poésie restera la poésie, c'est-à-dire une œuvre morale; l'industrie [52] restera l'industrie, c'est-à-dire une œuvre matérielle. Chez les nations saines et dans les esprits sensés, elle continuera à être tenue, non pas pour la maîtresse, mais pour la domestique de la maison; elle y sera bien venue, comme une personne utile; le plus spiritualiste d'entre nous a besoin de son potage comme Chrysale; un salaire et des égards sont dus au cuisinier habile, une retraite honorable dans la famille est accordée au fidèle et dévoué serviteur. Mais cela ne change rien aux relations respectives de la cuisine et du salon, et ce valet, quel que soit son adresse, qui se permet une familiarité inconvenante, est renvoyé à l'antichambre. C'est ce qui doit se passer entre la poésie, c'est-à-dire la personne morale, et les arts mécaniques, c'est-à-dire les serviteurs de la garde-robe et de la bouche, les pionniers de la société humaine. L'industrie, voulant devenir la poésie, n'est qu'une servante impertinente qui s'enveloppe du châle de sa maîtresse, et vient s'asseoir dans le salon. C'est encore, suivant l'apologue de Menenius, un peu modifié par le temps, la vieille insurrection des pieds, des mains et de l'abdomen voulant usurper les fonctions de la tête et du cœur. Telle est la vérité un peu crue; mais l'industrie moderne, avec ses prétentions outrées et son insolence de parvenue, a mérité qu'on la lui dise sous cette forme brutale. Comprendrait-elle d'ailleurs, dans son épais orgueil, des remontrances plus vives, une vérité plus délicatement exprimée? Il convient de dissiper par quelques violents coups de lumière les nuages dont se plaisent à entourer son action morale ceux qui en ont fait une religion. Elle a pour elle l'opinion du moment, la soif effrénée des jouissances physiques et tous les appétits vulgaires. Elle peut devenir dans le monde tout ce que la force matérielle y devient de plus éminent, une royauté, une idole, tout, excepté une poésie. Oue les poëtes le sachent donc et ne perdent pas de temps à expérimenter dans cette voie leur antique domaine. Le triple monde des passions de l'âme, du sentiment de la nature et du sentiment religieux est inépuisable, car il est infini. Ou'importe que le torrent pousse aujourd'hui ses admirations vers les œuvres, les progrès et les jouissances mécaniques? Ouand il serait vrai que la pure et noble poésie, cette antique poésie qui, au fond, est restée la même de l'Iliade à la Divine Comédie, et de Polyeucte aux Méditations, ne saurait être aujourd'hui populaire, elle se passera des applaudissements et du bruit, voilà tout. L'esprit qui gravite incessamment vers le beau et connait les délices de la contemplation de l'idéal, n'a-t-il pas en lui-même de quoi remplacer les excitations du succès? L'artiste appelé à faire une œuvre durable doit travailler, peut-être sans mépris, mais certainement sans désir de la popularité.
Erstdruck und Druckvorlage
Le Correspondant.
1856, April, S. 34-52.
Gezeichnet: Victor de Laprade.
Die Textwiedergabe erfolgt nach dem ersten Druck
(Editionsrichtlinien).
Le Correspondant online
URL: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb34416007p/date
URL: https://catalog.hathitrust.org/Record/003923014
URL: http://opacplus.bsb-muenchen.de/title/217265-3
URL: https://archive.org/advancedsearch.php
Literatur: Laprade
Bivort, Olivier: L'Art poétique du XIXe siècle.
In: Europe. Revue littéraire mensuelle, Nr. 936, April 2007, S. 109-119.
Brandmeyer, Rudolf: Poetiken der Lyrik: Von der Normpoetik zur Autorenpoetik.
In: Handbuch Lyrik. Theorie, Analyse, Geschichte.
Hrsg. von Dieter Lamping.
2. Aufl. Stuttgart 2016, S. 2-15.
Cabanès, Jean-Louis / Laisney, Vincent (Hrsg.):
L'Année 1855.
La littérature à l'âge de l'Exposition universelle.
Paris 2016 (= Études romantiques et dix-neuviémistes, 51).
Caraion, Marta: "Les philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques".
Projet pour une littérature positiviste au milieu du XIXe siècle.
In: La Production de l'immatériel.
Théories, représentations et pratiques de la culture au XIXe siècle.
Hrsg. von Jean-Yves Mollier u.a.
Saint-Étienne, 2008, S. 261-275.
Crossley, Ceri: Laprade as a cultural critic.
In: Patterns of Evolution in Nineteenth Century French Poetry.
Hrsg. von Lawrence Watson u.a.
Cambridge 1991, S. 17-31.
Einfalt, Michael: Zur Autonomie der Poesie.
Literarische Debatten und Dichterstrategien in der ersten Hälfte des Second Empire.
Tübingen 1992 (= Mimesis, 12).
Hufnagel, Henning / Krämer, Olav (Hrsg.): Das Wissen der Poesie.
Lyrik, Versepik und die Wissenschaften im 19. Jahrhundert.
Berlin u. Boston 2015.
Hufnagel, Henning: Wissen und Diskurshoheit.
Zum Wissenschaftsbezug in Lyrik, Poetologie und Kritik des Parnasse 1840-1900.
Berlin u. Boston 2017.
Régnier, Philippe (Hrsg.): Études saint-simoniennes.
Lyon 2002.
URL: https://books.openedition.org/pul/6143?lang=fr
Ringuedé, Yohann: Une crise du moderne.
Science et poésie dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Paris 2021.
Vouilloux, Bernard: Le tournant "artiste" de la littérature française.
Écrire avec la peinture au XIXe siècle.
Paris 2011 (= Collection "Savoir lettres").
Wanlin, Nicolas (Hrsg.): Littérature et sciences au XIXe siècle.
Une anthologie.
Paris 2019.
Literatur: Le Correspondant
Drapier, J.: Table méthodique et analytique des articles du "Correspondant",
depuis sa fondation en 1843 jusqu'en 1874.
Suivie de la table alphabétique des auteurs.
Paris 1874.
URL: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3075098s
Grunewald, Michel / Puschner, Uwe (Hrsg.):
Le milieu intellectuel catholique en Allemagne, sa presse et ses réseaux (1871 - 1963)
= Das katholische Intellektuellenmilieu in Deutschland,
seine Presse und seine Netzwerke (1871 - 1963).
Bern u.a. 2006.
Edition
Lyriktheorie » R. Brandmeyer