Jean Charles Léonard Simonde de Sismondi

 

 

De la littérature du midi de l'Europe

[Auszug]

 

Text
Editionsbericht
Literatur

 

Les immenses travaux de Pétrarque pour la littérature ancienne devraient être son plus beau titre de gloire; c'est ainsi qu'ils furent appréciés dans son siècle, c'est ainsi qu'il en jugeait lui-même: cependant sa célébrité est bien plus fondée aujourd'hui sur ses poésies lyriques italiennes que sur ses volumineux ouvrages latins. Ce sont ces poésies lyriques qui, imitées elles-mêmes des Provençaux, de Cino de Pistoia, et des poètes du commencement du siècle, ont servi à leur tour de modèle à tout ce que les peuples du Midi ont eu de poètes distingués. Ce sont elles que je voudrais faire connaître à mes lecteurs; si du moins quelques-unes des beautés qui tiennent essentiellement à l'harmonie et au coloris de la langue la plus musicale et la plus pittoresque, peuvent se conserver dans une traduction en prose.

Le genre lyrique est le premier qui soit cultivé dans chaque langue au renouvellement de toute littérature; c'est le plus essentiellement poétique, c'est le seul où le poète s'abandonne sans but à ses impressions. Dans une épopée, le poète pense à ses auditeurs; il veut leur rendre fidèlement le récit dont il se charge, et mettre sous leurs yeux des événemens dont l'émotion est déjà passée pour lui. Dans le drame, il sort [399] absolument de lui-même, pour se transformer successivement dans les personnages nouveaux qu'il revêt l'un après l'autre; dans l'idylle, il peut bien exprimer ses sentimens, mais ce n'est plus comme lui-même; il les accommode à une nature de convention, à un genre de vie tout idéal. Mais le poète lyrique ne veut point être un autre que lui-même, il exprime en son propre nom ses propres sentimens, il chante parce qu'il est ému, parce qu'il est inspiré. La poésie qui est adressée aux autres, qui est destinée à persuader, emprunte ses ornemens de l'éloquence; celle qui n'est qu'une effusion du cœur, une jouissance du sentiment qui se replie sur lui-même, doit s'embellir par l'harmonie. La mesure ordinaire du vers ne suffit point pour contenter l'âme qui veut donner l'essor à ses sentimens, et se complaire ensuite elle-même en les contemplant, il faut que les vers soient accompagnés par la musique, ou par la régularité des strophes, qui est l'harmonie naturelle au langage. Des vers qui se suivraient les uns les autres, sans être enchaînés musicalement par la place qu'ils occupent, ne paraîtraient point assez poétiques pour rendre la disposition d'âme de celui qui veut chanter; il cherche de nouvelles règles dans son oreille, dont l'observation rende le plaisir musical plus complet.

[400] L'ode, telle que la conçurent les anciens, telle que plusieurs poètes allemands, italiens, espagnols, portugais l'ont reproduite, est le plus parfait modèle du genre lyrique; les Français en ont retenu la forme; leur strophe est bien musicale; la longueur indéterminée du poëme, et la régularité de chaque couplet, admettent bien ce mélange de liberté et de gêne que demande l'expression des mouvemens de l'âme. Le petit vers français qui, sans qu'on s'en doute, est toujours scandé, toujours composé de longues et de brèves distribuées dans un ordre harmonique, fait bien sur l'oreille, du moins lorsqu'il est manié par les bons poètes, une impression mélodieuse; mais l'inspiration y manque. A la place de leurs sentimens, nos poètes ont chanté leurs réflexions, et la philosophie s'est emparée du genre de vers qui semblait devoir le moins l'admettre.

Les Italiens ne sont pas non plus demeurés fidèles au vrai genre lyrique; mais ils s'en sont moins éloignés que nous. Il est étrange que Pétrarque, nourri essentiellement de la lecture des anciens, et tout plein des poètes de Rome, n'ait point essayé dé donner des odes à la langue italienne: négligeant les modèles qu'Horace avait laissés, et dont il sentait cependant tout le prix, il a renfermé toutes ses inspirations lyriques dans deux mesures bien autrement étroites, [401] bien autrement gênées, le sonnet qu'il a emprunté des Siciliens, et la canzone, des Provençaux. Ces deux formes de versification qu'il a consacrées, et qui, jusqu'à nos jours, sont les plus fréquemment usitées en Italie, ont soumis son génie lui-même à leurs entraves, et ont donné à son inspiration quelque chose de moins naturel. Le sonnet surtout semble avoir eu sur toute la poésie italienne une influence fatale. L'inspiration lyrique doit être limitée dans sa forme, mais non pas dans son étendue; tandis que ce lit de Procuste, comme l'a ingénieusement appelé un Italien, réduit toutes les pensées à une même longueur, celle de quatorze vers; si cette pensée est trop courte, il faut la tirailler cruellement pour l'étendre jusqu'à cette mesure commune; si elle est trop longue, il faut la tronquer barbarement pour l'y faire entrer. Surtout il faut toujours relever par des ornemens brillans la briéveté d'un si petit poёme; et comme les mouvemens chauds et passionnés demandent à être préparés, à être développés dans une pièce plus longue, les pensées ingénieuses ont pris, dans cette composition essentiellement lyrique, la place du sentiment; et le bel esprit, souvent le faux esprit, a dû en faire toute la parure.

 

 

 

 

Erstdruck und Druckvorlage

J. C. L. Simonde de Sismondi: De la littérature du midi de l'Europe.
Tome premier. Paris: Treuttel et Würtz 1813, S. 398-401.

Die Textwiedergabe erfolgt nach dem ersten Druck (Editionsrichtlinien).

URL: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6553375g
URL: https://books.google.fr/books?id=7TETAAAAQAAJ
PURL: https://hdl.handle.net/2027/mdp.39015056033171
URL: https://mdz-nbn-resolving.de/bsb10710903
URL: https://onb.digital/result/1082F1CF

 

 

Übersetzung ins Deutsche

 

 

Literatur

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Schöning, Udo: Sismondi, "De la littérature du Midi de l'Europe" - une histoire pré-romantique de la littérature? In: Histoires de littératures en France et en Allemagne autour de 1800. Hrsg. von Geneviève Espagne. Paris 2009, S. 279-303.

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Lyriktheorie » R. Brandmeyer