Ange-François Fariau de Saint-Ange

 

[Rezension]

 

 

Text
Editionsbericht
Literatur: Saint-Ange
Literatur: Ode
Literatur: La Décade

 

POÉSIES LYRIQUES de Marie-Joseph CHÉNIER. A Paris, de l'imprimerie de P. Didot l'ainé, an V de la République. Se trouve chez Laran, libraire, galeries de bois, au Palais-Egalité.

Chez les anciens grecs, l'ode n'était pas un poëme de fantaisie, sans autre intention que de traiter un sujet vague et fictif, en vers appelés lyriques. Elle exerçait une espèce de ministère public, moral et politique. Le poëte, en chantant sur sa lyre, fesait passer dans les ames aux noms de liberté, de gloire et de patrie, les sentimens dont il était animé lui-même. Alcée, selon Denis d'Halicarnasse, avait le talent le plus rare pour ces sortes de sujets. Poëte, citoyen et guerrier, il fut le plus intrépide ennemi de la tyrannie et le défenseur le plus ardent des lois de son pays. En inspirant de grandes leçons, il donnait de grands exemples, et maniait avec le même enthousiasme et [86] l'épée et la lyre. Combien la véhémence et l'énergie des chants de ce poëte, dont Horace a dit:

                            Alcæi minaces
Stesichori que graves camænæ.

N'était-elle pas propre à inspirer, à raffermir cette mâle vigueur d'ame que la liberté donne, et qui à son tour en est la garde la plus sûre? La verve poétique ne pouvait être plus dignement, plus utilement employée: et quel caractère de vérité ne devait pas donner à l'enthousiasme l'importance de l'emploi?

Horace rappelle encore quelle fut sur les esprits de ses concitoyens, la puissance du génie de Tyrtée:

Tyrtæus que mares animos ad martia bella
Versibus exacuit
.

Il chantait aussi les charmes de la liberté, l'amour de la patrie, l'honneur de vaincre ou de mourir les armes à la main.

Si l'ode française n'est point parvenue au degré d'élévation dont ce genre est susceptible, nous ne devons en accuser que la différence des tems et des mœurs. Les hommes de génie que la France a pu produire dans ce genre, ne jouant qu'un rôle fictif et sans ministère, n'ont pu être que de faibles imitateurs de ces hommes passionnés, qui dans la Grèce ajoutaient aux mouvemens de la plus sublime éloquence, le charme de la Poésie et la magie des accords. Si notre grand lyrique eút vécu à l'époque de la liberté française, il est probable qu'il se fût beaucoup plus rapproché de l'ode antique. Aujourd'hui que nous sommes républicains, la ressemblance de nos institutions avec celles des Athéniens et des Spartiates, doit inspirer au génie le méme enthousiasme civique: et la France (fière de posséder un Pindare, dans ce Lebrun, dont le génie osait par de mâles accens appeler et prédire la liberté lorsqu'à peine elle avait quelques adorateurs cachés qui lui sacrifiaient dans le désert) peut déjà lui associer un nouvel Alcée. On voit bien que je parle de Chénier, de ce Poëte dont le talent, non moins flexible que [87] fécond, prend tour-à-tour le ton propre à chaque genre, comme s'il se fût borné à un seul. Qu'on lise ce recueil de poésies lyriques, toutes inspirées par le civisme le plus pur et où toutes les époques de la révolution sont dignement célébrées, on n'en trouvera pas une seule qui ne soit en effet éminemment lyrique. Rien de vague, rien de commun. C'est toujours le sujet qui lui donne le ton; et le caractère de chaque pièce est pris dans la circonstance. Aussi rien de plus varié. Voyez l'Hymne chanté au Champ-de-Mars, le jour de la Fédération. Voyez comme le début est analogue au sujet.

Dieu du peuple et des Rois, des cités, des campagnes,
De Luther, de Calvin, des enfans d'Israël;
Dieu que le Guébre adore au pied de ses montagnes,
              En invoquant l'astre du ciel:
Ici sont rassemblés sous ton regard immense
De l'Empire français les fils et les soutiens,
Célébrant devant toi leur bonheur qui commence,
              Égaux à leurs yeux comme aux tiens.

Ne se figure-t- on pas un Barde au milieu d'un grand peuple rassemblé, qui chante, la lyre en main, devant l'autel de la patrie

Voyez l'ode sur la mort de Mirabeau. Avec quels accens mâles et énergiques il recommande à l'avenir la mémoire d'un homme dont l'éloquence courageuse ayait fondé la liberté de son pays!

Beaux-Arts qu'inventa le Génie,
Unissez vos divins efforts;
Lugubre et touchante harmonie
Fais nous entendre tes accords.
Marbre, obéis à Praxitelle,
Toile, peins cette ame immortelle
Que les Dieux semblaient inspirer;
Et toi, Muse patriotique,
Chante le funèbre cantique:
Un grand homme vient d'expirer

[88] Cité que chérit Amphitrite,
Il attend de toi des autels.
Sur tes bords sa gloire est écrite
En caractères immortels.
Par son éloquence puissante
De notre liberté naissante
Je vois les ennemis vaincus.
Le despotisme en vain conspire;
Le peuple ressaisit l'Empire
Aux accens d'un nouveau Gracchus.

Sur une scène encor plus belle,
Au nom du peuple et de la loi,
Je l'entends, plein du même zèle,
Répondre à l'esclave d'un Roi:
Je vois son courage intrépide
Dénoncer à ce Roi perfide
Les crimes de ses favoris;
Lorsque des Héros mercenaires,
Dans leurs exploits imaginaires,
Menaçaient les murs de Paris

Ici la louange n'est ni vulgaire, ni banale. Elle est particularisée par des allusions aux principaux traits de la vie politique du grand homme que le chantre célèbre; ce mérite est grand: car rien de plus rare et de plus difficile que de dire ce qu'il faut, quand il le faut, et comme il le faut. Quoi de plus fier, quoi de plus hardi que les deux strophes suivantes?

La France a-t-elle avant notre âge
Honoré ces mortels divins,
Dont l'esprit est un héritage
Recueilli par tous les humains?
Ils mouraient: leur cendre sacrée,
Par l'amitié seule entourée
Marchait vers le funèbre lieu;
Tandis qu'une pompe insolente
Accompagnait l'ombre sanglante
D'un Louvois ou d'un Richelieu.

Du fanatisme étrange exemple!
Opprobre d'un siècle si beau!
A Sulpice on élève un temple,
Voltaire est presque sans tombeau
[89] Mort il cherche encore un asile;
Un ordre des tyrans exile
Ses vains et précieux débris;
Et dans leur stupide colère
De sa dépouille tutėlaire
Ils ont déshérité Paris.

Passons à d'autres beautés non moins frappantes, quoique différentes. Si Chénier adore la liberté, il abhore l'anarchie. Voyez avec quelle indignation énergique il rappelle la situation des vrais républicains sous la tyrannie révolutionnaire!

O de nos jours de sang quel opprobre éternel!
          C'est Catilina qui dénonce:
Vargonte et Lentulus dictent l'arrêt mortel;
          Tullius est le criminel;
          Cethegus est juge et prononce.

Des forfaits autrefois les vils machinateurs
          Conjuraient avec la nuit sombre;
Ils siégent maintenant au rang des Sénateurs,
          Et les poignards conspirateurs
          Ne sont plus aiguisés dans l'ombre.

Le Génie indigné baisse un front abattu
          Sous l'ignorance qui l'opprime:
Du nom de liberté le meurtre est revêtu;
          Et l'audace de la vertu
          Se tait devant celle du crime.

Le délateur vendu, pour prix de ses poisons,
          Baigne dans l'or ses mains avides;
Et des Pères conscrits les respectables noms
          Des Marius et des Carbons
          Couvrent les tables homicides.

Le peuple est aveuglé par ses vils ennemis:
          Des Gracchus la mort est jurée.
Viens Septimuléius, viens, meurtrier soumis,
          Contre l'or qui te fut promis
          Echanger leur tête sacrée.

Voilà les véritables mouvemens de l'ode. Quelle force, quelle précision dans le style! Qui se serait imaginé [90] qu'on pût dire, baigner ses mains dans l'or? Mais quelle énergie, et en même tems quelle justesse cette expression n'a-t-elle pas par l'emploi sublime que Chénier en a su faire! Ce sont ces expressions que Despréaux appelait trouvées. Mais le génie seul en trouve de pareilles. Ces strophes si étincelantes de beautés poétique, ne sont pas moins admirables par le fonds des idées qui suppose une instruction que les Poëtes du plus grand talent n'ont pas toujours. Avec quel art heureux le Poëte n'a-t-il pas su approprier à son sujet des inductions historiques qui l'enrichissent! Avec quel art encore il désigne sous des noms Romains des hommes de fange et de sang que la délicatesse du goût répugne de nommer, autant que le sentiment de l'humanité révoltée de l'horreur qu'ils inspirent! Des poésies lyriques de ce mérite, sont bien capables de faire refleurir le genre de l'ode, qui était tombé en discrédit parmi nous. La révolution en amenant de nouvelles lois et de nouveaux usages, a ouvert aux Poëtes une source nouvelle de beautés que nous adımirions dans les anciens, sans nous croire appelés à les imiter jamais. Avant cette époque, si l'on eût voulu retrouver l'ode antique, il aurait fallu la chercher dans Ossian. On pourra juger par les imitations que Chénier en a publiées, et qui forment le troisième livre de ses poésies lyriques, quelle était l'éloquence des anciens Bardes, et on ne s'étonnera pas qu'un tyran les ait fait détruire. C'est sans doute le courage et l'élévation d'ame que ces Poëtes respirent, qui a déterminé Chénier à en traduire les plus précieux fragmens. Je n'en citerai rien: il me suffit de dire que jamais il n'a fait de plus beaux vers.

 

 

 

 

Erstdruck und Druckvorlage

La Décade philosophique, littéraire et politique.
IVe. trimestre. Messidor, Thermidor, Fructidor.
Paris: Au Bureau de la Décade philosophique.
L'an 6 de la République française [1798].a

Gezeichnet: Saint-Ange.

Die Textwiedergabe erfolgt nach dem ersten Druck (Editionsrichtlinien).

PURL: https://hdl.handle.net/2027/osu.32435065888463

 

 

 

Literatur: Saint-Ange

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Literatur: Ode

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Literatur: La Décade

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Edition
Lyriktheorie » R. Brandmeyer