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LYRIQUE. Le Poème lyrique, chez les grecs, étoit, non seulement chanté,
mais composé aux accords de la Lyre: c'est là d'abord ce qui le distingue
de tout ce qu'on appelle Póésie lyrique chez les latins & parmi nous.
Le poète étoit musicien; il préludoit, il s'animoit au son de ce prélude;
il se donnoit à lui-même la mesure, le mouvement, la période
musicale: les vers naissoient avec
[312] le chant; & de là l'unité de rythme, de caractère, & d'expression
entre la musique & les vers: ce fut ainsi qu'une poésie chantée fut
naturellement soumise au nombre & à la cadence; ce fut ainsi que chaque
poète lyrique inventa, non seulement le vers qui lui convint, mais
aussi la strophe analogue au chant qu'il s'étoit fait lui-même, &
sur lequel il composoit.
A cet égard le Poème lyrique, ou l'Ode, chez les latins & chez les nations modernes, n'a été qu'une frivole imitation du Poème lyrique des grecs: on a dit, Je chante, & on n'a point chanté; on a parlé des accords de la Lyre, & on n'avoit point de Lyre. Aucun poète, depuis Horace inclusivement, ne paroît avoir modelé ses Odes sur un chant. Horace, en prenant tour à tour les diverses formules des poètes grecs, semble avoir si fort oublié qu'une Ode dût être chantée, qu'il lui arrive souvent de laisser le sens suspendu à la fin de la strophe, où le chant doit se reposer, comme on le voit [313] dans cet exemple, si sublime d'ailleurs par les pensées & par les images:
Districtus ensis cui super impiâ
Cervice pendet, non siculæ dapes
Dulcem elaborabunt saporem;
Non avium citharæque cantus
Somnum reducent. Somnus agrestium
Lenis virorum, non humiles domos
Fastidit, umbrosamque ripam,
Non zephyris agitata Tempe.
Nos Odes modernes ne sont pas plus lyriques; & à l'exception de quelques chansons bachiques ou galantes, qui se rapprochent de l'Ode ancienne, parce qu'elles ont été faites réellement dans le délire de l'amour ou de la joie, & chantées par le poète, aucune de nos Odes n'est susceptible de chant. On a essayé de mettre en musique l'Ode de Rousseau à la Fortune; c'étoit un mauvais choix: mais que l'on prenne entre les Odes du même poète, ou de Malherbe, ou de tel autre, celle qui a le plus de mouvement & d'images; on ne réussira guère mieux.
[314] La seule forme qui convienne au chant, parmi nos Poésies lyriques, est celle de nos Cantates: Mais Rousseau, qui en a fait de si belles, n'avoit ni le sentiment, ni l'idée de la Poésie mélique ou chantante; & sa Cantate de Circé, qui passe pour être la plus susceptible de l'expression musicale, fera l'écueil des compositeurs. Métastase lui seul, dans ses Oratorio, a excellé dans ce genre, & en a donné des modèles parfaits.
Mais le grand avantage des poètes lyriques de la Grèce, fut l'importance de leur emploi & la vérité de leur enthousiasme.
Le rôle d'un poète lyrique, dans l'ancienne Rome & dans toute l'Europe moderne, n'a jamais été que celui d'un comédien; chez les grecs, au contraire c'étoit une espèce de ministère public, religieux, politique, ou moral.
Ce fut d'abord à la Religion que la Lyre fut consacrée, & les vers qu'elle accompagnoit furent le langage des dieux; mais elle obtint plus de faveur encore en s'abaissant à louer les hommes.
[315] La Grèce étoit plus idolâtre de ses héros que de ses dieux; & le poète qui les chantoit le mieux, étoit sûr de charmer, d'enivrer tout un peuple. Les vivans furent jaloux des morts: l'encens qu'ils leur voyoient offrir ne s'exhaloit point en fumée; les vers chantés à leur louange passoient de bouche en bouche, & se gravoient dans tous les esprits. On vit donc les rois de la Grèce se disputer la faveur des poètes, & s'attacher à eux pour sauver leur nom de l'oubli.
Et quelle émulation ne devoient pas inspirer des honneurs qui alloient jusqu'au culte! Si l'on en croit Homère, le plus fidèle peintre des mœurs, la Lyre, dans la cour des rois, faisoit les délices des festins; le chantre y étoit révéré comme l'ami des Muses & le favori d'Apollon: ainsi, l'enthousiasme des peuples & des rois allumoit celui des poètes; & tout ce qu'il y avoit de génie dans la Grèce se dévouoit à cet art divin. Mais ce qui acheva de le rendre imposant & grave, ce fut l'usage qu'en fit la politique, en [316] l'associant avec les lois pour aider à former les mœurs.
Ce n'étoit pas seulement à louer l'adresse d'un homme obscur, la vîtesse de ses chevaux, ou sa vigueur au combat de la lutte, mais à élever l'ame des peuples, que l'Ode olympique étoit destinée; & dans l'éloge du vainqueur étoient rappelés tous les titres de gloire du pays qui l'avoit vu naître: puissant moyen pour exciter l'émulation des vertus! Ainsi, née au sein de la joie, élevée, ennoblie par la Religion, accueillie & honorée par l'orgueil des rois & par la vanité des peuples, employée à former les mœurs, en rappelant de grands exemples, en donnant de grandes leçons, la Poésie lyrique avoit un caractère aussi sérieux que l'Eloquence même. Il n'est donc pas étonnant qu'un poète, honoré à la cour des rois, dans les temples des dieux, dans les solennités de la Grèce assemblée, fût écouté dans les conseils & à la tête des armées, lorsqu'animé lui-même par les sons de sa Lyre, il faisoit passer dans les [317] ames, aux noms de liberté, de gloire, & de patrie, les sentimens dont il étoit rempli.
On ne veut pas ajouter foi au pouvoir de cette éloquence, secondée de l'harmonie, & aux transports qu'elle excitoit en remuant l'ame des peuples par les ressorts les plus puissans; on ne veut pas y croire, tandis qu'en Italie on voit encore la Musique, par la voix d'un homme affoibli, & dans la fiction la plus vaine, enivrer tout un peuple froidement assemblé.
Supposez, au milieu de Rome, Pergolèſe, la Lyre à la main, avec la voix de Timothée & l'éloquence de Démosthènes, rappelant aux romains leur ancienne splendeur & les vertus de leurs ancêtres; vous aurez l'idée d'un poète lyrique, & des grands effets de son art.
En voyant en chaire le missionnaire Bridaine, les yeux enflammés ou remplis de larmes, le front ruisselant de sueur, faisant retentir les voûtes d'un temple des sons de sa voix déchirante, & unissant, [318] à la chaleur du sentiment le plus exalté, la véhémence de l'action la plus éloquente & la plus vraie; je l'ai supposé quelquefois transformé en poète, & fortifiant, par les accens d'une harmonie pathétique, les sentimens ou les images dont il frappoit l'ame des peuples; & j'ai dit: Tel devoit être Epiménide au milieu d'Athènes, Therpandre ou Tyrtée au milieu de Lacédémone, Alcée au milieu de Lesbos.
Le poète lyrique n'avoit pas toujours ce caractère sérieux; mais il avoit toujours un caractère vrai: Anacréon chantoit le vin & les plaisirs, parce qu'il étoit buveur & voluptueux; Sapho chantoit l'amour, parce qu'elle brûloit d'amour.
Ces deux fortes d'ivresse ont pu, dans tous les temps & dans tous les pays, inspirer les poètes: mais dans quel autre pays que la Grèce la Poésie lyrique a-t-elle eu son caractère sérieux & sublime, si ce n'est chez les hébreux, & peut-être aussi dans nos climats du Nord, du temps des druides & des bardes?
[319] Chez les romains & parmi nous, Horace, Malherbe, Rousseau feignoient de chanter sur la Lyre: mais Orphée, Amphion ne feignoient rien lorsqu'ils apprivoisoient les peuples, les rassembloient, les engageoient à se bâtir des murs, à vivre sous des lois; mais Therpandre, pour adoucir les mœurs des lacédémoniens; Tyrtée, pour les ranimer & les renvoyer aux combats; Epimenide, pour appaiser le trouble des esprits & la voix des remords, quand les athéniens se croyoient menacés, poursuivis par les Euménides; Alcée enfin, pour déclarer la guerre à la tyrannie, & rallumer dans l'ame des lesbiens l'amour de la liberté, chantoient réellement aux accords de la Lyre, peut-être même au son des instrumens analogues au caractère & à l'intention de leur chant. Les grecs disoient que la déesse Harmonie étoit fille de Mars & de Vénus, pour dire qu'elle étoit douée d'une force & d'une grâce irrésistibles.
Dans l'ancienne Rome, une Poésie
[320] éloquente eût souvent pu se signaler. Mais un peuple long-temps
inculte, uniquement guerrier, peu curieux de vers & de musique, peu
sensible aux arts d'agrément, & trop austère dans ses mœurs pour songer
à mêler ses plaisirs avec ses affaires, auroit trouvé ridicule une Lyre
dans la main de Brutus ou des Gracques, ou dans celle de Marius: une
éloquence mâle pour plaider sa cause, une épée pour la défendre, voilà
tout ce qu'il demandoit; & un tribun comme Tyrtée, ou un consul comme
Epimenide, venant soulever en chantant, ou calmer le peuple romain,
auroit été mal accueilli. Voyez POÉSIE
Dans ce même article POÉSIE, j'ai appliqué à l'Italie
moderne ce que je
viens de dire de l'Italie ancienne; & je n'ai pas dissimulé ma surprise,
de voir que l'Eglise ait négligé celui de tous les arts qui pouvoit le plus
dignement embellir ses solennités. Voyez HYMNE.
Quant à l'Ode profane,
elle n'y a jamais fait qu'un rôle fictif, sans objet & sans
[321] ministère: aussi les hommes de génie que l'Italie a pu produire
dans ce genre sublime, comme Chiabrera & Crudeli, n'ayant à s'exercer
que sur des sujets vagues, n'ont-ils été, comme Horace, que de
foibles imitateurs de ces hommes passionnés, qui, dans la Grèce,
ajoutoient aux mouvemens de la plus sublime Eloquence, le charme
de la Poésie & la magie des accords.
En Espagne nul encouragement, & aussi nul succès pour le Lyrique sérieux & sublime, quoique la langue y fût disposée. On ne laisse pourtant pas de trouver dans les poètes espagnols quelques Odes d'un ton élevé: celle de Louis de Léon, sur l'invasion des maures, est remarquable, en ce que la fiction en est la même que l'allégorie du Camoëns pour le cap de Bonne - Espérance. Dans le poète espagnol, plus ancien que le portugais, c'est le génie d'un fleuve qui prédit la descente des maures & la désolation de l'Espagne; dans le Portugais, c'est le génie protecteur du promontoire [322] des tempêtes & gardien de la mer des Indes, qui s'élève pour en défendre le passage aux européens: l'image est agrandie; mais l'idée est la même, & la première gloire en est à l'inventeur.
L'Ode, en Angleterre, a eu plus d'émulation & plus de succès: mais ce n'est encore là qu'un enthousiasme factice. Si on y veut trouver l'Ode antique, il faut la chercher dans les poésies des anciens bardes; c'est Ossian qu'il faut entendre, gémissant sur le tombeau de son père & se rappelant ses exploits:
"A côté d'un rocher élévé sur la montagne & sous un chêne antique, le vieux Ossian, le dernier de la race de Fingal, étoit assis sur la mousse: sa barbe, agitée par le vent, se replioit en ondes; triste & pensif, privé de la vue, il entendoit la voix du Nord: le chagrin se ranima dans son cœur; il commença ainsi à se plaindre & à pleurer sur les morts.
Te voilà tombé comme un grand chêne, avec toutes tes branches autour de toi. Où es-tu, ô roi Fingal, ô mon [323] père? & toi, mon fils Oscur, où es-tu? où est toute ma race? Hélas! ils reposent sous la terre: j'étends les bras, & de mes mains glacées je tâte leur tombeau; j'entends le torrent qui gronde en roulant entre les pierres qui les couvrent. O torrent! que viens-tu me dire? tu m'apportes le souvenir du passé. Les enfans de Fingal étoient sur ton rivage, comme une forêt dans un terrain fertile. Ils étoient perçans, les fers de leurs lances! Celui-là étoit audacieux qui se présentoit à leur colère. Fillan le grand étoit ici; tu étois ici, Oscur, ô mon fils! Fingal lui-même étoit ici, puissant & fort, avec les cheveux blancs de la vieillsse: il s'affermissoit sur ses reins nerveux, & il étaloit ses larges épaules: malheur à celui qui rencontroit son bras dans la bataille! Le fils de Morný arriva, Gaul, le plus robuste des hommes: il s'arrêta sur la montagne, semblable à un chêne; sa voix étoit comme le son des torrens; il cria: Pourquoi le fils du puissant Corval veut-il régner seul? Fingal n'est pas assez [324] fort pour défendre son peuple, & pour en être le soutien; je suis fort comme la tempête sur l'Océan, comme l'ouragan sur les montagnes: cède, fils de Corval, & fléchis devant moi. Il descendit de la montagne comme un rocher; il retentissoit dans ses armes.
Oscur s'avança, & s'arrêta pour l'attendre: Oscur, mon fils, vouloit rencontrer l'ennemi; mais Fingal vint dans sa force, & sourit aux menaces insultantes de Gaul. Ils s'élancèrent l'un contre l'autre, se pressèrent dans leurs bras nerveux, & luttèrent dans la plaine. La terre étoit sillonnée par leurs talons; le bruit de leurs os étoit semblable à celui d'un vaisseau ballotté par les vagues dans la tempête. Leur combat fut long; ils tombèrent avec la nuit sur la plaine retentissante, comme deux chênes tombent en entrelaçant leurs branches & en ébranlant la montagne: le robuste fils de Morny est terrassé, le vieillard est vainqueur.
Belle, avec ses tresses d'or, son cou poli, & son sein de neige, belle comme [325] les esprits des montagnes, quand ils effleurent dans leur course la surface d'une bruyère paisible pendant le silence de la nuit; belle comme l'arc des cieux, la jeune Minvane arrive: Fingal, dit-elle avec douceur, rends-moi mon frère; rends-moi l'espérance de ma race, la terreur de tous, excepté de Fingal. Puis-je refuser, dit le roi, ce que demande l'aimable fille des montagnes? Emporte ton frère, ô Minvane! plus belle que la neige du Nord. Telles furent tes paroles, ô Fingal! Hélas! je n'entends plus les paroles de mon père: privé de la vue, je suis appuyé sur son tombeau: j'entends le sifflement des vents dans la forêt, & je n'entends plus la voix de mes amis: le cri du chasseur a cessé, & la voix de la guerre ne retentit plus autour de moi".
Voilà l'Ode héroïque de ces peuples sauvages; & voici leur Ode amoureuse: c'est une fille qui attend son amant.
"Il est nuit; & je suis feule, abandonnée sur la colline des orages. Le vent [326] souffle sur la montagne; le torrent gémit au bas de ce rocher; aucune cabane ne m'offre un asile contre la pluie: je suis abandonnée sur la colline des orages.
Lève-toi, ô Lune; sors du sein de tes nuages! Etoiles de la nuit, paroissez! Quelque lumière ne me guidera-t-elle pas vers le lieu où repose mon amant, fatigué des travaux de la chasse, son arc détendu à ses côtés, & ses chiens haletans autour de lui?.... Je suis obligée de m'arrêter ici seule, sur le rocher couvert de mousse qui borde ce ruisseau. J'entends les murmures du vent & des flots; mais je n'entends point la voix de mon amant!
Pourquoi ne viens-tu point, ô mon Shalgar! pourquoi le fils de la colline tarde-t-il à remplir sa promeſſe? Voici l'arbre, le rocher, le ruisseau murmurant. Tu m'avois promis d'être ici avant la nuit.... Ah! où est allé mon Shalgar! pour toi j'ai quitté la maison de mon père; je voulois fuir avec toi. Nos fa[327]milles ont été long-temps ennemies; mais Shalgar & moi nous ne sonmes point ennemis.
O vent, cesse un moment! Ruisseau, suspends un instant ton murmure! Que ma voix se fasse entendre sur la bruyère; qu'elle frappe les oreilles du chasseur que j'attends. Shalgar! c'est moi qui t'appelle; voici l'arbre & le rocher. Shalgar! ô mon amant! me voici: pourquoi tardes-tu à paroître? Hélas rien ne me répond.
Enfin la lune paroît, les eaux brillent dans la vallée; les rochers font grisâtres sur la surface de la colline; mais je ne le vois point sur le sommet: ses chiens, en le devançant, ne m'annoncent point qa présence: resterai-je donc ici solitaire & abandonnée?
Mais quels objets aperçois-je couchés devant moi sur la bruyère?... Seroit-ce mon amant & mon frère?... Parlez-moi, mes amis... Hélas! ils ne me répondent point! la crainte glace mon cœur... Ah! ils sont morts! leurs épées sont teintes de [328] sang. O mon frère! mon frère! pourquoi as-tu tué mon Shalgar? .... pourquoi, ô Shalgar! as-tu tué mon frère? vous m'étiez si chers l'un & l'autre! Que dirai-je pour célébrer votre mémoire? Tu étois beau sur la colline dans la foule de tes compagnons; il étoit terrible dans le combat..... Parlez-moi, écoutez ma voix, enfans de ma tendresse.... Mais hélas! ils se taisent pour toujours; le froid habite dans leur sein.
O vous, ombres des morts! faites-vous entendre du haut de ce rocher, du sommet de la montagne des vents; parlez, & je ne serai point effrayée.... Où êtes-vous allées vous reposer? dans quelle caverne de la colline vous trouverai-je? Mais le vent ne m'apporte point de réponse; je ne distingue point, dans les orages de la colline, les sons foibles de la voix des morts.
Je vais m'asseoir ici dans ma douleur; j'attendrai le matin dans les larmes. Elevez un tombeau, ô vous, amis des morts! mais ne le fermez pas avant que j'arrive. [329] Je sens ma vie s'échapper de moi comme un songe. Pourquoi resterois-je après mes amis? il vaut mieux que je repose avec eux sur le bord de ce ruisseau, Quand la nuit descendra sur la colline, quand le vent soufflera sur la bruyère, mon ombre s'assiéra sur les nuages, & déplorera la mort de mes amis. Le chasseur écoutera du fond de sa cabane; il craindra ma voix, mais il l'aimera, parce que ma voix sera douce pour mes amis; car ils étoient chers à mon cœur".
Si telle étoit l'éloquence des bardes, il ne faut pas s'étonner qu'un tyran les eût fait détruire: le courage & l'élévation d'ame que ces poètes inspiroient aux peuples, s'accordoient mal avec le projet qu'il avoit de les asservir. Ce trait de prudence & d'atrocité d'Edouard I fait le sujet d'une Ode de Gray, la plus belle peut-être dont l'Angleterre se glorifie, & dans laquelle, faisant parler un barde échappé au glaive, le poète semble inspiré par le génie d'Ossian.
J'ai dit que l'on trouvoit le grand carac[330]tère de l'Ode antique dans les poésies des hébreux, parce que l'enthousiasme en est sincère, & que l'objet en est sérieux & sublime: ce n'est point un jeu de l'imagination, que les cantiques de Moïse & que ceux de David; ils chantoient l'un & l'autre avec une verve que l'on appelleroit génie, si ce n'étoit par l'inspiration même de l'esprit divin. C'est cette inspiration & les élans rapides qu'elle donnoit à leur ame, que les poètes allemands ont imités de nos jours. Ils se sont efforcés de ployer leur langue aux formules des vers latins, & de la cadencer sur les mêmes nombres: leur oreille en est satisfaite; & c'est un plaisir qu'aucune nation n'a droit de leur disputer. Mais le vague de leurs peintures, l'allégorie continuelle de leur style, les détails recherchés de leurs descriptions, font trop voir que leur enthousiasme est simulé.
Le seul de ces poètes qui ait donné à l'Ode le caractère antique, c'est le célèbre M. Gleim, dans ses chants de guerre prussiens. On l'a appelé, avec raison, le [331] Tyrtée de son pays; on l'a comparé aux bardes des germains & aux scaldes des anciens danois.
Gleim est prussien; il parle en homme persuadé de la justice des armes de son roi; & le rôle qu'il a pris est celui d'un grenadier plein de génie & de courage.
"Le mérite de ces chants de guerre, disent les auteurs du Journal étranger, consiste dans une extrême simplicité unie à beaucoup de verve, d'harmonie, & de force". Les traits suivans, quoi-qu'affoiblis par la traduction, en peuvent donner une idée.
Ils sont pris du chant de victoire, après la bataille de Lowositz.
"Le héros, assis sur un tambour, méditoit sa bataille, ayant le firmament pour tente, & la nuit autour de lui. En méditant, il dit: Ils sont en grand nombre; mais, fussent-ils encore plus nombreux, je les battrai.
Il vit l'aurore, & il vit nos visages enflammés de désirs; ah, combien le bon jour qu'il nous donna étoit ravissant!
[332] Libre, comme un Dieu, de crainte & de terreur, plein de sensibilité, il est là, & distribue les rôles de la grande tragédie.
Cependant le soleil se montra tout à coup sur la carrière du firmament, & tout à coup nous pûmes voir devant nous.
Et nous vîmes une armée innombrable qui couvroit les montagnes & les vallées, & (ce qui est bien permis à des héros) nous fùmes étonnés pendant un clin d'œil, & nous reculâmes la tête de l'épaisseur d'un cheveu; mais pas un seul pied ne recula.
Car aussi-tôt nous pensâmes à Dieu & à la patrie: soudain, soldats & officiers furent remplis du courage des lions.
Et nous nous approchâmes de l'ennemi à grands pas égaux. Halte! cria Frédéric, halte! & ce ne fut qu'un même pas. Il s'arrête: il considère l'ennemi, & ordonne ce qu'il faut faire. Aussi-tôt, comme le tonnerre du Très-haut, on vit la cavalerie s'élancer, & c."
[333] L'Ode françoise a de la pompe, du coloris, de l'harmonie;
mais elle est peu rapide, & encore moins passionnée: c'est que jamais
nos poètes lyriques n'ont été animés d'un véritable enthousiasme. Quel
moment que la mort de Henri IV, si Malherbe avoit eu l'ame de Sully,
& si, frappé, comme il devoit l'être, de ce monstrueux parricide,
il avoit fait éclater sa douleur, ou plutôt celle de la patrie,
qui voyoit massacrer son père dans ses bras! Malherbe, Racan,
Rousseau lui-même ont voulu être élégans, nombreux, fleuris;
ils n'ont presque jamais parlé à l'ame. Leurs Odes sont froidement
belles; & on les lit comme ils les ont faites, c'est-à-dire,
sans être ému. Voyez ODE.
Les modernes ont une autre espèce de poème lyrique que les anciens
n'avoient pas, & qui mérite mieux ce nom, parce qu'il est réellement
chanté: c'est le drame appelé Opéra. Voyez OPÉRA.
Erstdruck und Druckvorlage
Marmontel: Œuvres complettes.
Edition revue & corrigée par l'Auteur.
Bd. VIII: Élémens de littérature, 4.
Paris: Née de La Rochelle 1787, s. 311-333.
Die Textwiedergabe erfolgt nach dem ersten Druck
(Editionsrichtlinien)
PURL: https://hdl.handle.net/2027/mdp.39015070328292
URL: https://books.google.fr/books?id=T7YTAAAAQAAJ
Kommentierte Ausgabe
Literatur
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Stildiskurse im 18. Jahrhundert.
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Le lyrisme des Lumières entre sociabilité, galanterie et savoir.
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Écrire l'encyclopédisme, du XVIIIe siècle à nos jours.
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La postérité des "Éléments de littérature".
In: Critique, critiques au 18e siècle.
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Selvaggio, Mario: Poésie et poétique dans l'Encyclopédie.
Six entrées. Alberobello u.
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Un intellectuel exemplaire au siècle des Lumières.
Tulle 2003.
Zymner, Rüdiger (Hrsg.): Handbuch Gattungstheorie.
Stuttgart u.a. 2010.
Edition
Lyriktheorie » R. Brandmeyer