Robert de Souza

 

 

La Poésie populaire et les poètes novateurs

[Auszug]

 

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Editionsbericht
Literatur: Souza
Literatur: La Société Nouvelle

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Texte zur Baudelaire-Rezeption
Texte zur Verlaine-Rezeption
Texte zur Mallarmé-Rezeption
Texte zur Theorie und Rezeption des Symbolismus

 

Il est devenu un lieu commun, en constatant même le talent de certains jeunes poètes, de déplorer leurs subtilités et les arcanes où ils se complaisent. Ce reproche est naturel et ne peut étonner. Il a été fait, à toutes les époques, à tous les artistes qui se sont efforcés, par des moyens nouveaux de recréer les formes de la beauté. On les blâme de perdre le sens simple et vrai des choses, de sacrifier l'émotion sincère à des hardiesses composites faites de plus d'artifices que d'art. Eux, sans rien accepter de la critique, répondent avec plus ou moins de sérénité que, s'ils étendent leur art, c'est pour approfondir, au contraire, cette nature qu'on leur oppose: et c'est ainsi que chaque siècle entend plusieurs fois le lied de Walter devant les Maîtres Chanteurs.

Jamais opposition entre novateurs et traditionnalistes ne fut plus marquée qu'aujourd'hui. Pour les poètes, elle semble même s'accuser d'une façon particulière par la faveur toujours plus vive dont jouit la poésie rustique, ses imaginations ingénues, fraîches et de prime-saut. Des chercheurs enthousiastes fouillent pour la quérir le coin des vieilles provinces. De gentils trouvères parisiennants, munis de leur plume, tels les sorciers de jadis de leur baguette de coudrier, marchent à la découverte de chansons populaires comme de sources pures qui doivent vivifier et rajeunir le lyrisme de France. Et l'on ne s'aperçoit point que les poètes dits symbolistes (d'un beau nom à multiple signification, mais suffisant à unir d'un lien libre et fort diverses noblesses d'esprit) sont ceux qui, précisément, ont su le mieux faire profiter l'art de l'enseignement populaire.

 

I

 

[293] Lorsque Gérard de Nerval signala avec un goût si charmant les ballades du Valois (1), on commençait à se douter alors en France de la poésie rustique, et nul poète n'avait usé de ses trésors. Aux temps romantiques, on produisit bien quelques pastiches de chants orientaux, Mérimée fit la Guzla et Hugo quelques "guitares"; mais c'était dans un but de couleur, de pittoresque, tout à fait étranger au sentiment intérieur de l'âme primitive. On sait, et il va sans dire, que la poésie rustique n'a rien de commun avec les chansons des Béranger et des Pierre Dupont. Les pastorales d'un Brizeux sont aussi autre chose: car on a tendance à confondre ce qui s'inspire des motifs champêtres avec l'accent même de la spontanéité populaire.

Bien des années après, à la fin de son livre Sous bois, qui est presque un chef-d'œuvre, M. André Theuriet réveilla le regret resté enfermé entre les pages exquises de Gérard de Nerval. Le temps qui s'était écoulé avait vu se dessiner tout un mouvement en faveur des légendes, contes et poésies populaires, mais la science seule en avait profité. M. Theuriet signala de nouveau au grand art combien il avait à apprendre de l'instinct naturel que ne retenait aucun souci de rhétorique, aucune superstition de règles.

Depuis lors nos provinces ont presque toutes recueilli leur romancero; les glanes ont été heureuses, bien que plus abondantes que riches. Or, les poètes traditionnels qui opposent ces récoltes aux cultures nouvelles en ont-ils tiré le rajeunissement attendu?

Nul mieux que M. André Theuriet (et avec lui M. André Lemoine, M. Georges Lafenestre, ces pénétrés amants de la nature intime aux jours des magnificences "parnassiennes") n'était apte à imprégner une œuvre du suc populaire rustique. Forestier, comme il s'intitule lui-même, sa prose et ses vers fleurent bon les bois sauvages et les chaudes fenaisons. Sans déclamation, sans développement oratoire, il fait revivre d'un dessin précis le bûcheron, le charbonnier, le tisseran, la brodeuse, en l'exact décor de leur vie. Mais ce sont des paysages et des tableaux de genre. Cela est plus peint que chanté, – et trop achevé dans le souci du détail réel.

Le tour de la poésie populaire comporte d'autres traits que la concision, la simplicité, la naïveté sur lesquelles on insiste trop exclusivement. Il frappe d'abord par une brusquerie d'attaque saisissante. Les sensations fortes vous prennent à la gorge; et le poète populaire chante comme on pousse un cri en se dégageant d'une étreinte. Joie ou douleur, misère ou [294] fêtes, états intermédiaires même de mélancolie ou de tendresse, il n'éprouve et ne rend rien par gradation: tout éclate! Au courant de la poésie, les divers sentiments, les images et motifs extérieurs qui les caractérisent se succèdent par à-coups, par sauts, sans explications, sans transitions. Et la passion vive mange les mots, supprime les pronoms, les articles, tandis que, répétant au contraire de-ci de-là, sans cesse, l'expression significative, sans s'inquiéter de la rime ni même de l'assonance, elle martèle le rythme ou le distend, au mieux de l'imprévu lyrique.

Ainsi se traduit l'art populaire de tous les pays, même du nôtre. Il n'en est pas de plus éloigné de la forme classique, de l'idéal latin. Ce qui fait que lorsque un de nos poètes est touché d'une de ses inspirations, il prend son polissoir, enlève bien toute répétition, rectifie bien chaque rime, resserre les strophes d'un fort lien logique, pèse et unifie les syllabes, achevant un petit chef-d'œuvre de poésie bourgeoise, au relief adouci de tout heurt passionné. Et cette poésie peut être sincère, émue, tout imprégnée de fraîche sensualité et de grâce intime, sans rien garder de l'accent populaire qu'un vague ton concentré, familier, simple.

M. Jean Richepin, peut-être, sut, en se servant des éléments traditionnels, donner à certaines de ses poésies la verdeur et le mouvement qui conviennent. C'est par ce côté-là surtout qu'il marquera comme poète original. Mais il ne rend que le mouvement extérieur, avec des développements trop suivis et trop longs, des strophes tout en gestes, pour ainsi dire, où sont loin de paraître les jolies sentimentalités et les traits mystérieux du lyrisme rustique.

Dans ses Contes à la Reine, M. Robert de Bonnières use plutôt de la forme narrative que lyrique. Il utilise les récits, les légendes dans un esprit très national de moraliste plutôt que de poète, mais avec un archaïsme un peu uni, une tenue classique trop sévère, et par cela même trop éloignée des frustes abandons.

M. Gabriel Vicaire est aujourd'hui le vrai poète folkloriste traditionnel, accomplissant pour la poésie ce que réalise pour la musique M. Julien Tiersot, à qui nous devions ces temps derniers de jolies auditions de rondes enfantines. Le titre de son dernier volume, Au bois joli, indique à lui seul les tendances de son imagination. Et nul n'a mieux décrit le charme de la poésie populaire: "Le vers sans doute est boiteux, dit-il, il court cependant. Le rythme ne se distingue pas toujours aisément; on peut être sûr qu'il existe. La rime est remplacée par l'assonance; mais la musique n'y perd jamais rien. Les pieds varient à l'infini. Qu'importe? Il semble qu'on ait affaire à une matière malléable, presque fluide, capable de s'allonger ou de se restreindre à volonté. Les syllabes trop nombreuses se tassent d'elles-[295]mêmes (1)." Or, comment avec une appréciation si délicate M. Gabriel Vicaire s'est-il contenté d'un instrument sec et coupant comme l'effilé vers classique qui rase net les herbes folles, fleurissantes, tond en boulingrins les prairies naturelles?

On entend la défense de M. Vicaire. Il nous répondra que s'il a assuré les parités des rimes, il n'a rien perdu des formes rustiques: ses répétitions de vers et de petits refrains carillonnés au long du poème, "turlurette, amourette!" on "mirliton, mirlitaine"; ses mètres légers et courts ne dépassant guère la mesure de l'octosyllabe; enfin le je ne sais quoi dans le tour et la mise en scène qui, malgré la préoccupation d'une versification rigoureuse ne donnant plus l'impression d'une matière malléable, presque fluide, nous restitue néanmoins le sentiment et la manière de notre art champêtre. Et en effet nul n'a mieux réussi à nous rendre en des pages les éléments contradictoires de cet art: le ton naïf et le mouvement alerte, la malice et la poésie.

Seulement, c'est un pastiche! ayant tous les défauts d'un pastiche dont le principal est toujours le perfectionnement extérieur, le souci de surpasser le modèle. Cela tient de l'agrandissements photographique. Que la poésie populaire dise:

Je chante le lourdaud
Qui m'a laissé aller;
Quand on a la caille en main
Faut savoir la plumer...

M. Gabriel Vicaire dira:

La caille était dans ta main
           Oh! la folle
           Qui s'envole!
La caille était dans ta main
La reverras-tu demain?

Il te fallait la plumer
           Oh! la folle
           Qui s'envole!
Il te fallait la plumer
Turlurelte, et puis m'aimer (2).

Evidemment ce turlurette est placé avec beaucoup d'art; on voit la jouvencelle faire d'une pirouette la nique à son ami. Mais on ne voit pas que de ce genre de procédés, de ces simples jeux poétiques la poésie française puisse tirer comme le pense M. Vicaire un rajeunissement infini (3).

[296] D'ailleurs les inventions de notre poésie populaire s'y opposent. On a trop voulu qu'elles offrent toutes les ressources inspiratrices du folklore étranger (1). Très variées, avec des complaintes aussi tragiques que celle de Jean Renaud, des romances aussi douloureuses que celle de la Pernette, cependant elles comprennent surtout des "pastourelles" à la fois plaisantes et mélancoliques, des "chansons d'amour" gouailleuses et pétillantes. La passion y tourne vite en gauloiserie; et l'Amour, dépouillé de son prestige cruel, y prend des airs de gros gourmand. On est loin dès lors de la fougue épique espagnole, de la sauvage sensualité slave, de l'enveloppante langueur roumaine, de la folle fantaisie hongroise, des lunaires rêveries allemandes dont à travers l'Europe témoigne la poésie populaire. Notre cercle rustique du drame, de la féerie, de la légende, se resserre promptement sur le poète qui y aventure sa haute inspiration lyrique. Il ne s'élargit pas à l'infini comme les lieder devant les poètes allemands du commencement de ce siècle.

M. Gabriel Vicaire nous le démontre lui-même avec quelque surabondance. Après avoir suivi dans les sentes toutes les grâces et les joliesses campagnardes, sa promenade s'arrête facilement au cabaret du village. Et c'est aussitôt une poivrade de pointes grivoises à travers la bonne chère et les excitations du "piccolo".

Ainsi on finit par s'apercevoir que chez les poètes traditionnels cette imitation directe de notre poésie populaire affirme uniquement des tempéraments spirituels et francs d'allure, simples, à la bonne franquette, comme disait l'avant-dernier recueil de M. Vicaire et qui jouissent de la poésie sans trop d'exaltation, comme d'un bon vin. Leur campagne en faveur de nos chants rustiques n'a, en somme, jamais été autre chose qu'une protestation de l'esprit réaliste contre les rêves toujours plus ambitieux du véritable esprit lyrique. M. Theuriet l'a faite, alors que continuaient à se dérouler les grands décors historiques du "Parnasse"; M. Vicaire l'a reprise alors que commençaient à monter les songes du "symbolisme". Sous couleur de rendre la santé et la simplicité à des imaginations excessives, ils n'ont que suivi dans les champs le courant de la vie quotidienne avec ses traits familiers, ses émotions intimes, ses coins de nature aux détails parlants. Et il est vrai que ce courant, aux images trop extérieures et anecdotiques, gardera toujours son charme nécessaire à côté du grand fleuve où s'embarquent les imaginations passionnées; mais entre eux il n'est rien de commun.

 

II

 

[297] Les poètes traditionnels s'efforcèrent d'acquérir le sens de l'art populaire, pour ainsi dire, par le dehors, par la préoccupation du sujet, par l'exactitude de la mise en scène. C'est par le dedans que les poètes novateurs le retrouvèrent d'instinct, tout d'abord sans y penser, par le seul fait d'une analogique manière de sentir.

Pour ces derniers, lorsqu'un homme est secoué d'une émotion vive, il n'enchaîne pas ses sensations comme un avocat ses preuves, elles se succèdent et se mêlent, tantôt traversées d'un éclair qui le fait mieux voir en lui-même, tantôt ennuagées d'une brume mystérieuse qu'il préfère ne point pénétrer. Si l'émotion est seulement plaintive, il gémit en quelques mots vagues et expirants. De toute façon, il ne coordonne pas une déclamation; il ne sait pas composer avec sa douleur ou sa joie de l'éloquence, de la logique ou de la morale: il sent, simplement, et il n'obéit qu'à l'art naturel qui nous pousse à rendre, en toute son éclosion sincère, notre émotion, pour qu'on l'accueille en sympathie.

On l'a vu: c'est ainsi que le poète populaire comprend et traduit ce qu'il éprouve; et le poète novateur s'allie encore à lui par le même dédain des règles trop rigides, qui gênent la nature, arrêtent l'élan, qui ne s'adaptent point à toutes les formes de la vie et du rêve.

M. Paul Verlaine, le premier, après quelques essais d'Arthur <Rimbaud> retrouva le secret de cet art spontané.

O triste, triste était mon âme
A cause, à cause d'une femme.

Je ne me suis pas consolé
Bien que mon cœur s'en soit allé,

Bien que mon cœur, bien que mon âme.
Eussent fui loin de cette femme... (1).

Mais ne craignons pas de rappeler des pièces connues et même aujourd'hui classiques; le lecteur ne nous en blâmera point.

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur?

O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits!
Pour un cœur qui s'ennuie
O le chant de la pluie!

[298] Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure.
Quoi? nulle trahison?
Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine (1).

Et encore:

Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie:
Dormez, tout espoir,
Dormez, toute envie;

Je ne vois plus rien,
Je perds la mémoire
Du mal et du bien...
O la triste histoire!

Je suis un berceau
Qu'une main balance
Au creux d'un caveau:
Silence, silence (2)!

Il ne semble pas possible de rendre mieux l'accent de la complainte populaire dans une expression cependant de sentiments subtils qui lui sont étrangers. Avec les poésies qui suivent, le poète se sert davantage des formes rustiques pour une transposition des plus heureuses.

Impression pauvre, dit celle-ci:

      Dame souris trotte,
Noire dans le gris du soir,
      Dame souris trotte
      Grise dans le noir.

      On sonne la cloche,
Dormez, les bons prisonniers.
      On sonne la cloche:
      Faut que vous dormiez.

      Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu'à vos amours.
      Pas de mauvais rêve:
      Les belles toujours!

      Le grand clair de lune!
On ronfle ferme à côlé.
      Le grand clair de lune,
      En réalité!

      [299] Un nuage passe.
Il fait noir comme dans un four.
      Un nuage passe.
      Tiens, le petit jour!

      Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus.
      Dame souris trotte:
      Debout, paresseux (1)!

Enfin cette dernière qui est comme un des sonnets plaintifs de Musset pour les nouvelles générations:

Le ciel, par-dessus le toit,
      Si bleu, si calme!
Un arbre, par-dessus le toit
      Berce sa palme.

La cloche, dans le ciel qu'on voit,
      Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
      Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
      Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
      Vient de la ville.

— Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
      Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
      De la jeunesse (2)?

Si la poésie n'avait point un but de transfiguration aussi bien que d'émotion, qu'est-ce qui ne paraîtrait point artificiel à côté de ces touchants accents! Les poètes novateurs le sentirent: ces rythmes que scandaient les seules pulsations du cœur éveillèrent, à travers toutes les magies symboliques, au plus intime de leur être, les ingénuités et les spontanéités primitives. C'est ainsi, avant de toucher à ceux qui s'inspirent du sentiment populaire pour l'élargir selon un lyrisme particulier, qu'on en peut suivre l'influence naturelle jusqu'en les œuvres les plus récentes.

Chacun se saisit des motifs où pouvoir le mieux transparaître son âme. Les uns comme M. Paul Gérardy de nonchalance germaine, tantôt dirent en "complaintes" l'abandon du pauvre être humain,

[300] Être le solitaire étrange,
L'égaré de partout,
Le jamais las de s'en aller
Toujours vers n'importe où (1)

tantôt revêtirent leur douleur de la forme à la fois tragique et comme lassée des vieilles "ballades":

Bon troubadour,
Pourquoi t'en vas tout loqueteux?
— Ils ont mon castel mis en feu.
Pour me prendre mon amour.

Bon troubadour,
Pourquoi ces pleurs en tes yeux clairs?
— A ceux qui mon castel brûlèrent
J'ai vu sourire mon amour.

Bon troubadour,
Pourquoi chanter d'amour toujours?
— Il faut que tel mon chant résonne
Afin qu'un peu de pain me donnes (2).

Dans ses Sonatines d'Automne, M. Camille Mauclair module de même de tendres et douloureuses historiettes qui éveillent surtout le merveilleux dont les êtres simples animent leurs entours, et d'où ont éclos toutes les mythologies. Voyez ce que devinrent les Cheveux punis:

Ses cheveux l'aimaient tant et tant,
La blonde au front blanc,
Qu'ils veillaient lorsqu'elle dormait.

On lui donna un ruban feu,
Mais ils brûlèrent tant et tant,
Les si blonds et jaloux cheveux,
Que le beau ruban parut blanc.

On lui donna un collier d'or,
Mais tant et tant ils se dorèrent
Que l'or ternit et devint vert.
Elle alla au bois une nuit,
Son amant y attendit,
Tant et tant qu'elle s'endormit;

[301] Alors les cheveux s'éveillèrent.
Et si blonds dans la nuit qu'ils faisaient la lumière,
Ils glissèrent sans bruit
Et l'étranglèrent:
Mais à l'aube les cheveux clairs
Furent noirs comme des vipères...

Cependant pour des esprits un peu frustes, comme M. Max Elskamp, et de rusticité plutôt flamande, ces chansons recueillies sur des confins de légende témoignent encore de trop d'enjolivements qui dépassent le simple. Et ils réduisent leurs motifs aux gestes presque sommaires, transcrits en traits rudes et gauchis, comme appuyés par des doigts lourds, des mains engourdies de toute leur semaine de travail. Le pauvre homme rêve

Dans un beau château
La Vierge, Jésus et l'âne.
Font des parties de campagne
A l'entour des pièces d'eau,
Dans un beau château.

Dans un beau château,
Jésus se fatigue aux rames,
Et prend plaisir à mon âme
Qui se rafraîchit dans l'eau,
Dans un beau château (1).

Le pauvre homme aime:

Et vous serez ma belle actrice,
Mon bourreau d'or et mon supplice,

Et mes pinceaux, et mes couleurs,
A tous les panneaux de mon cœur;

Et vous serez mon eau-de-vie
Qui fait rire, au verre, la vie (2).

Ainsi se poursuivent dans le sillon populaire les semailles des nouveaux poètes. Tous ne furent point également ingénus. A peine M. Paul Verlaine eut-il remué la bonne terre que des rhéteurs, ces fins industriels des découvertes d'autrui, arrivèrent sur ses pas, munis de tout leur outillage et de leur rhétorique vulgarisatrice.

M. Jean Moréas, qui ne laisse rien perdre et qui est un très habile trouveur, ne redécouvrit point les chants populaires par spontanéité d'âme, mais sans doute par ce goût un peu exclusif des œuvres déjà accomplies où sa virtuosité s'affirme, à chaque nouveau recueil, davantage

[302] Voici un rappel de la forme populaire renouvelée à la manière de M. Paul Verlaine:

Le gaz pleure dans la brume,
Le gaz pleure, tel un œil.
— Ahl prenons, prenons le deuil
De tout cela que nous eûmes... (1)

Voici une strophe de ballade allemande telle qu'on aurait pu l'extraire du livre célèbre, L'Enfant au cor enchanté:

Hou! hou! le héron ricane
Pour faire peur à la cane.
Trap! trap! le sorcier galope
Sur le bouc et la varlope.
— Elfes couronnés de jonc
Viendrez-vous danser en rond (2)?

Voici une paraphrase d'un lied bien connu d'Henri Heine:

Toc, toc, toc, il cloue à coups pressés —
Toc toc, toc, le menuisier des trépassés.

   "Bon menuisier, bon menuisier,
   Dans le sapin, dans le noyer
   Taille un cercueil très grand, très lourd
   Pour que j'y couche mon amour (3)"

En 1825, avait paru une traduction des Chants populaires de la Grèce moderne; M. Moréas n'en a eu nul besoin pour écrire:

Auprès de la fenêtre
Assise à son rouet,
Maryô file la laine
Avec ses doigts fluets.

Maryô file la laine,
La soie et l'or aussi,
Pour faire la ceinture
Du beau klephte Ralli (4).

La vraie forme populaire française est bien transcrite en ce début de l'Epouse fidèle, malgré une petite trahison de lettré au premier vers de la seconde strophe que termine cependant avec bonheur un de ces remplissages naïfs tout à fait dans les traditions du folklore.

A la fraîche fontaine
Sous le grand peuplier
A la fraîche fontaine
S'arrête un cavalier

[303] Son noir cheval est blanc
D'écume et de poussière,
Il est blanc de la queue
Jusques à la crinière
... (1).

Enfin, son tour d'Europe achevé, M. Moréas s'est retiré dans l'antiquité romane, où il retrouve parfois encore l'accent populaire tel que nous l'ont fait connaître les Romances et pastourelles des XIIe et XIIIe siècles, éditées par Bartsch, mais accent quelque peu corrompu par des archaïsmes de toutes les époques depuis Rutebeuf jusqu'à Ronsard. Et de cet amalgame où apparaissent des traces de rondel à la Charles d'Orléans, de ballade à la Villon, résultent des chansons dans ce goût:

Que faudra-t-il à ce cœur qui s'obstine;
Cœur sans souci, ah! qui te ferait battre!
Il lui faudrait la reine Cléopâtre,
Il lui faudrait Hélie et Mélusine,
Et celle-là nommée Aylaure, et celle
Que le Soudan emporte en sa nacelle.

Puisque Suzon s'en vient, allons
Sous la feuillée où s'aiment les colombes (2).

 

 

[Die Anmerkungen stehen als Fußnoten auf den in eckigen Klammern bezeichneten Seiten]

[293]  (1) Le Rêve et la Vie (œuvres complètes, t. V).   zurück

[295]  (1) Chansons populaires de l'Ain, recueillis par Charles Guillon, préface de Gabriel Vicaire, p. IV.   zurück

[295]  (2) Au bois joli, p. 25: Robin et Marion.   zurück

[295]  (3) Enquête sur l'évolution littéraire, p. 375.   zurück

[296]  (1) Gérard de Nerval, pour quelques bergères "vêtues d'or et d'argent par leur amant", allait jusqu'à y découvrir une exubérance tout orientale.   zurück

[297]  (1) Romances sans paroles.   zurück

[298]  (1) Romances sans paroles.   zurück

[298]  (2) Sagesse, III.   zurück

[299]  (1) Parallèlement.   zurück

[299]  (2) Sagesse.   zurück

[300]  (1) Pages de joie, 31.   zurück

[300]  (2) Id., Bal., IV. Il y aurait à citer ici un des Petits poèmes d'automne de M. Stuart <Merrill>, si leurs contours trop arrêtés ne les éloignaient un peu de la véritable inspiration populaire. Diverses pièces des Poésies d'André Walter trouveraient de même facilement place ici.   zurück

[301]  (1) Dominical, p. 17.   zurück

[301]  (2) Id., p. 46.   zurück

[302]  (1) Les Cantilènes, Never more.   zurück

[302]  (2) Id., Le Rhin.   zurück

[302]  (3) Id., Nocturne.   zurück

[302]  (4) Id., Maryô.   zurück

[303]  (1) Id.   zurück

[303]  (2) Le Pèlerin passionné. Edit. refondue, sylve XIII.   zurück

 

 

 

 

Erstdruck und Druckvorlage

La Société Nouvelle.
Revue internationale.
Jg. 11, 1895, September, S. 292-318.

Gezeichnet: ROBERT DE SOUZA.

Unser Auszug: S. 292-303.

Die Textwiedergabe erfolgt nach dem ersten Druck (Editionsrichtlinien)


La Société Nouvelle. Revue internationale   online
URL: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb328704179/date
URL: https://catalog.hathitrust.org/Record/009800376
URL: https://fr.wikisource.org/wiki/La_Société_nouvelle   [Texttranskriptionen]

 

 

Zeitschriften-Repertorium

 

Mit Änderungen aufgenommen in

 

 

 

Literatur: Souza

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